cosmos

Une vie limitée. Locale. On vit de ce que le jour apporte. Personne ne regarde autour de soi, chacun regarde son propre sentier défiler sous ses pieds. Travail. Famille. Gestes. Vivre tant bien que mal… Concrètement.

C’est fatigant et attirant à la fois… Ah, j’aspire tellement à cette limitation ! J’en ai déjà assez du cosmos.

[…] Je prends note de ce désir en moi. Aujourd’hui, à Tandil.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 584-585.

David Farreny, 20 mars 2002
tourmenté

Lorsque j’avais six ou sept ans, j’étais constamment tourmenté par un certain genre de cauchemars récurrents dans lesquels une race d’entités monstrueuses (que j’avais surnommées « les Maigres Bêtes de la Nuit » — je suis incapable de me souvenir d’où j’avais bien pu tirer ce nom…) s’attaquaient systématiquement à mon ventre (mauvaise digestion ?) pour m’emporter sur des lieues d’air noir au-dessus d’horribles cités mortes. À chaque fois, elles m’amenaient dans un vide grisâtre au fond duquel j’apercevais les sommets en aiguilles d’énormes montagnes. Puis elles me laissaient tomber… et, alors que j’étais entraîné dans un plongeon digne d’Icare, je me réveillais dans un tel état de panique que la simple idée de me rendormir me remplissait de terreur. Les « Maigres Bêtes de la Nuit » étaient des choses noires, fines et caoutchouteuses, affublées de cornes, de queues barbelées, d’ailes de chauves-souris, et totalement dépouvues de visage. De toute évidence, ces visions étaient la conséquence embrouillé des dessins de Doré (en particulier ceux illustrant Le Paradis perdu) qui me fascinaient tant lorsque j’étais éveillé. Ces choses ne parlaient pas et la seule véritable torture qu’elles m’infligeaient était l’habitude qu’elles avaient de me chatouiller l’estomac (toujours cette histoire de digestion) avant de m’emporter et de plonger en piqué avec moi. J’avais le vague sentiment qu’elles vivaient dans de noirs terriers criblant le sommet d’une haute montagne située dans un endroit inconnu. Il me semblait qu’elles arrivaient toujours par groupe de vingt-cinq ou de cinquante et qu’elles se repassaient ma personne de l’une à l’autre. Nuit après nuit, je revivais la même horreur avec quelques rares variantes sans importance… mais jamais il ne m’arriva de percuter les pics hideux avant de me réveiller.

Howard Phillips Lovecraft, Correspondance.

Guillaume Colnot, 17 juil. 2002
désavouée

À une époque, rien de ce que je pouvais entendre et voir ne m’était indifférent, quand bien même je recueillais un mot sur cinq, une vision sur cinq de tout ce qui retentissait à mes oreilles et à mes yeux. Maintenant que je suis coupé de l’univers, je subis le besoin de connaître le moment où cette aptitude à éprouver le flot de la vie s’est éteinte au centre de ma personne. Non pour appréhender la déperdition infligée à ladite personne par ce rétrécissement, mais sous l’influence d’un pur besoin de date. Afin de penser : « La rétractation s’est produite à tel âge, oui, à compter de tel jour mon existence s’est désavouée. »

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 148.

David Farreny, 15 nov. 2002
diminués

Les divers insectes carnivores, vus au microscope, sont des animaux formidables, ils étaient peut-être ces dragons ailés dont on retrouve les anatomies : diminués de taille à mesure que la matière diminuait d’énergie, ces hydres, griffons et autres, se trouvaient aujourd’hui à l’état d’insectes. Les géants antédiluviens sont les petits hommes d’aujourd’hui.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 248.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
ethnique

Je ne peux pas voir un chat dans la rue sans ressentir une complicité ethnique.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 36.

David Farreny, 27 juin 2010
savait

On souhaite, avec son esprit, mourir et, avec son corps, vivre ; le corps est idiot ; on le savait.

Paul Morand, « 28 juillet 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 298.

David Farreny, 26 août 2010
lyophilisée

À ce moment, Nayadja Aghatourane m’interpella. Comme elle avait fêté son bicentenaire seulement vingt-sept ans auparavant, c’était la plus jeune des tireuses d’élite.

— Resurgir plus tard dans leurs rêves, étais-je en train de dire.

Elle se redressa, elle décroquevilla sous la lune sa forme jusque-là blottie dans les touffes de ginseng et de boudargane. Je vis émerger en haut d’un monticule son misérable manteau de marmotte, dont, à contre-obscurité, il n’était guère possible de détailler les nombreux rapiéçages et les enjolivures vermillon et les slogans magiques en ouïgour, et j’aperçus sa tête minuscule, comme lyophilisée par la vieillesse, cette petite masse de cuir granuleux et chauve dont la partie inférieure reflétait les étoiles quand des mots s’en échappaient, car elle était renforcée par un dentier de fer.

Une affection spéciale me liait à Nayadja Aghatourane. Je n’avais pas oublié que, lors de ma gestation dans la maison de retraite, quand j’étais caché, imparfaitement conçu, sous le lit de telle ou telle des vieilles comploteuses, elle avait été l’unique grand-mère de la bande à songer qu’il fallait répéter en ma direction des contes pour enfants plutôt que seulement les classiques du marxisme.

— Scheidmann, cria-t-elle, qu’est-ce que c’est que ces narrats étranges avec quoi tu nous embobines ? Pourquoi étranges ?… Pourquoi sont-ils étranges ?

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 95.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
ressorts

San Michele. Étrange effet que de marcher sur ce sol fait presque tout entier de dalles funéraires. Ces plaques de marbre, pressées les unes contre les autres comme les pierres taillées d’un édifice, rappellent l’origine du mot « monument », le mémorial, le memini de l’esprit qui se souvient. L’exemple premier, le plus simple, le plus évident, est la pierre tombale. C’est sur les tombeaux des morts que se sont bâties les cultures.

Le vertige est ici d’autant plus fort que ces plaques sont des calcaires à gryphée, très dures, à peine entamées par les millions de pas qui se sont succédé à leur surface depuis des siècles, et l’on y distingue des fossiles, enroulés sur eux-mêmes comme de gros ressorts, qui renvoient à la machinerie inimaginable du Temps.

Jean Clair, « La première pierre », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 171.

David Farreny, 21 mars 2011
achever

Ainsi j’ai tenu. C’est pourquoi la fin de Primo Levi me peine et m’agace – oui, le mot peut surprendre, il est sincère. L’idée que cet homme a survécu à la déportation, qu’il a écrit au moins un grand livre, Si c’est un homme, sans oublier La Trêve et Le Système périodique, et qu’il se jette dans l’escalier cinquante ans après… C’est comme si les bourreaux avaient réussi, malgré l’amour et malgré les livres. Leur main a traversé le temps pour achever la destruction, qui ne cesse pas. La fin de Primo Levi m’effraie.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 35.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
triomphe

L’Arc révèle le vide de tout Triomphe.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 195.

David Farreny, 2 avr. 2013
exemple

Prenons par exemple, assise dans une cellule vide et cubique d’apparence carcérale, une jeune femme nommée Céleste Oppenheim.

Jean Echenoz, « Nitrox », Caprice de la reine, Minuit, p. 87.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
raison

Jamais, en revanche, on ne cherche une bonne raison de se coucher le soir.

Éric Chevillard, « mercredi 10 février 2021 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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