métier

Je suis né dans une mansarde

d’où l’on entendait le matin

des laitiers qui drelin drelin

réveillaient les biberonneuses.

Ici naquit Georges Machin

qui pendant sa vie ne fut rien

et qui continue Il aura

su tromper son monde en donnant

quelques fugitives promesses

mais il lui manquait c’est certain

de quoi faire qu’on le conserve

en boîte d’immortalité.

Prendre l’air était son métier.

Georges Perros, Une vie ordinaire, Gallimard, p. 28.

David Farreny, 22 mars 2002
moralité

Autre signe de ce Jules César : tous les visages suent sans discontinuer : hommes du peuple, soldats, conspirateurs, tous baignent leurs traits austères et crispés dans un suintement abondant (de vaseline). Et les gros plans sont si fréquents, que, de toute évidence, la sueur est ici un attribut intentionnel. Comme la frange romaine ou la natte nocturne, la sueur est, elle aussi, un signe. De quoi ? de la moralité. Tout le monde sue parce que tout le monde débat quelque chose en lui-même ; nous sommes censés être ici dans le lieu d’une vertu qui se travaille horriblement, c’est-à-dire dans le lieu même de la tragédie, et c’est la sueur qui a charge d’en rendre compte : le peuple, traumatisé par la mort de César, puis par les arguments de Marc-Antoine, le peuple sue, combinant économiquement, dans ce seul signe, l’intensité de son émotion et le caractère fruste de sa condition. Et les hommes vertueux, Brutus, Cassius, Casca, ne cessent eux aussi de transpirer, témoignant par là de l’énorme travail psychologique qu’opère en eux la vertu qui va accoucher d’un crime. Suer, c’est penser (ce qui repose évidemment sur le postulat, bien propre à un peuple d’hommes d’affaires, que : penser est une opération violente, cataclysmique, dont la sueur est le moindre signe).

Roland Barthes, « Mythologies », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 692.

David Farreny, 5 déc. 2004
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
oreilles

Un signe de vieillissement que je remarque depuis assez longtemps : mes oreilles s’agrandissent. L’homme montre, en prenant de l’âge qu’il n’est qu’un âne.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 1er février », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 81.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
faudrait

Faudrait un sursaut de main, un levier pour soulever cette mélancolie massive, collante, face au monde et à vivre. Repartir du mimosa par exemple qui boule jaune dans mon coin clope au lycée. Ou bien cette nécessité de la révolte pour refuser cette vie – peau de chagrin imposée au plus grand nombre.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 45.

Cécile Carret, 4 mars 2010
folâtre

Au nombre des animaux qui assistèrent à l’exécution de Will Scheidmann, on compte les ruminants qui paissent autour des yourtes et qui, non sans indifférence, parfois dirigeaient leurs regards vers le poteau contre quoi Will Scheidmann vomissait leur lait, mais, surtout, il y eut un oiseau qui était originaire du lac Hövsgöl, un échassier d’humeur folâtre, critiqué parmi les siens pour ses comportements individualistes, et qui ce matin-là s’amusait à tracer de courtes boucles au-dessus du terrain des opérations et à faire du sur-place tantôt à la verticale des chamelles, tantôt à la verticale des sœurs Olmès. Ses plumes caudales un peu rabougries desservaient l’élégance de sa silhouette, mais peu importe. […]

Dans le monde des chevaliers à pattes vertes et des chevaliers aboyeurs, cet échassier était connu sous le sobriquet de Ioulghaï Thotaï. […]

Ioulghaï Thotaï se déplaça vers l’ouest puis il agita les ailes avec une lenteur tournante, glissant et planant selon un dessin d’entonnoir et freinant sa trajectoire au point de paraître immobile en plein ciel. Il avait appris à voler de cette manière, profondément étrangère à ceux de son espèce, en observant les mouvements d’une buse et en les adaptant à sa corpulence et à sa charpente.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 74.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
élastique

riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
remontés

D’ailleurs à Java : partout ces grands coqs dégingandés qui courent entre les jambes, les charrettes, comme des jouets trop remontés avec leur plumage superbe.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 125.

Cécile Carret, 28 juin 2012
goût

Séparées à la naissance, ces jumelles se retrouvèrent à l’âge de 40 ans grâce à un dossier conservé par les services sociaux. Et là, grande émotion, si elles ne se ressemblaient en rien au physique, elles se découvrirent avec stupeur un goût commun pour la musique, les voyages et le cinéma !

Éric Chevillard, « vendredi 29 avril 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 29 avr. 2016
heures

Mais encore… Mais encore dans la voix du matin, il aurait fallu être attentif et précis, noter et noter encore, parler bas quand les heures laissent entrer les petites joies si douces si calmes si paisibles, quand on sent la pulsation de la Terre, quand bat le cœur juste et bon, accordé à des phrases dépassant tout juste du silence, tièdes et palpitantes et qui ne s’imposent pas. « Soyons désobligeants pour les femmes et les éditeurs ! » me dit-il à l’oreille. Oui, bien sûr, mais comme il est dommage de devoir toujours aller à contre-sens, comme nous aimerions être simplement, simplement être, poser notre main sur son ventre et laisser le temps filer entre les précipices dans la paix de l’aube. Lassitude de devoir dire non encore une fois, une fois de trop. Revenir à Bach, en somme. L’aurore est éternelle. Les âmes endormies reposent, couchées auprès de leurs sœurs. Le péché veut les réveiller. Ne le laissons pas faire. Encore un instant de répit, avant le tumulte.

Prépare-toi, mon âme. Pour ton bien, tu seras abandonnée. Alors de ses yeux reviendront des amours qu’elle ne sait même pas, le temps du diable oublié, le sarcasme et la peur, et toutes les heures perdues éclateront comme des bulles de savon. Il y avait de la sainteté dans ces folies et tu ne le voyais pas. Un souffle puis un autre, une hésitation, la voix qui se brise, mais quand même, c’était beau, le désir.

Jérôme Vallet, « Sur les talons », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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