cavités

Il se trouve dans mon corps des cavités, une à l’épaule, une au-dessus de l’aine, qui bourgeonnent et se referment sans me causer de trouble ; je n’ai plus besoin aujourd’hui de tailler les barbes qui bordent chacun de ces orifices, sans doute parce que je n’ai plus l’occasion d’exposer ma nudité. Cavités profondes comme le majeur, le mien pour ne pas le nommer, elles ont leurs meilleures heures quand je vais à la mer ; ô combien cet élément leur est familier ! Je les sens s’ouvrir et se rincer quand je me baigne, au travers de la combinaison de plongée dont je suis revêtu. Si d’aventure je descends et atteins les premiers hauts-fonds, elles demandent à être appuyées sur les coraux, ainsi qu’à tous les angles que la roche sous-marine a édifiés. Un jour viendra où, abouchées à des branchages coralliens, des mâts de carbone, elles ne voudront plus me laisser reprendre ma respiration.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 129.

David Farreny, 15 nov. 2002
explication

Aucune réalité. Seulement leur pirioréalité, leur loloréalité, qui en est une tout à fait fausse, toute morlofausse. Par une extension maligne arriver à englober et diluer et dénaturer le monde entier qui désormais échappe et trompe, voilà leur consigne, qu’ils appliquent. « Applique et complique. »

Sans doute beaucoup d’hommes de par le monde, justement révoltés, s’agitent. De grandes opérations de soulèvement et de révolutions ont lieu en mainte région du globe, mais (étrange tout de même) après quelque temps elles avortent toutes immanquablement et le statu quo ante se rétablit, mystérieusement. Une explication dès lors s’impose. Ce n’étaient que des piriorévolutions sans rien de réel, pirio, piriopolitique. Et tout continue comme par-devant.

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 205.

David Farreny, 9 nov. 2005
rien

Retrouverions-nous son Temps, on resterait séparé de l’enfant par les dix mille virginités perdues. Rien ne sépare, n’éloigne, comme la perte de la virginité. Quoi de plus difficile que de se représenter « l’avant », tout ce qui venait « avant », non réalisé encore, tout ce qui vint pour la première fois, tout ce qui autrefois élan, appel, est devenu satisfaction, c’est-à-dire rien du tout.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 302.

David Farreny, 12 mars 2008
loin

Je vis soudain s’agiter très loin quelques petits points qui sortaient du couvert et s’engageaient sur le versant d’un pré ; se rapprochant, ils me laissèrent deviner la tache rouge d’un bonnet qui dansait doucement au hasard du terrain ; et autour de celui-ci d’autres bonnets, des capuchons, d’autres jambes venaient hardiment, quatre ou cinq bonhommes résolus mais étriqués, comme de vieux petits nains. Ces nains portaient quelque chose. […]

C’étaient des enfants de l’école, de ceux qui habitaient la commune des Martres, ainsi que je le reconnus alors qu’ils étaient encore loin. Ce que deux d’entre eux portaient sur un bâton pesant à leur épaule me surprit fort, et d’abord j’en doutai ; mais non, c’était bien un renard, suspendu par les pattes à la mode ancienne ou sauvage, et on ne savait pas pourquoi par ce moyen transporté à travers le froid.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
exacte

Toute propriété du langage étant impossible, l’écrivain et l’homme privé (quand il écrit) sont condamnés à varier d’emblée leurs messages originels, et puisqu’elle est fatale, à choisir la meilleure connotation, celle dont l’indirect, parfois fort détourné, déforme le moins possible, non pas ce qu’ils veulent dire, mais ce qu’ils veulent faire entendre […]. L’écriture est en effet, à tous les niveaux, la parole de l’autre, et l’on peut voir dans ce renversement paradoxal le véritable « don » de l’écrivain ; il faut même l’y voir, cette anticipation de la parole étant le seul moment (très fragile) où l’écrivain (comme l’ami compatissant) peut faire comprendre qu’il regarde vers l’autre […].

L’originalité est donc le prix dont il faut payer l’espoir d’être accueilli (et non pas seulement compris) de qui vous lit. C’est là une communication de luxe, beaucoup de détails étant nécessaires pour dire peu de choses avec exactitude, mais ce luxe est vital, car dès que la communication est affective (c’est la disposition profonde de la littérature), la banalité lui devient la plus lourde des menaces. C’est parce qu’il y a une angoisse de la banalité (angoisse, pour la littérature, de sa propre mort) que la littérature ne cesse de codifier, au gré de son histoire, ses informations secondes (sa connotation) et de les inscrire à l’intérieur de certaines marges de sécurité. Aussi voit-on les écoles et les époques fixer à la communication littéraire une zone surveillée, limitée d’un côté par l’obligation d’un langage « varié » et de l’autre par la clôture de cette variation, sous forme d’un corps reconnu de figures ; cette zone — vitale — s’appelle la rhétorique, dont la double fonction est d’éviter à la littérature de se transformer en signe de la banalité (si elle était trop directe) et en signe de l’originalité (si elle était trop indirecte). Les frontières de la rhétorique peuvent s’agrandir ou diminuer, du gongorisme à l’écriture « blanche », mais il est sûr que la rhétorique, qui n’est rien d’autre que la technique de l’information exacte, est liée non seulement à toute littérature, mais encore à toute communication, dès lors qu’elle veut faire entendre à l’autre que nous le reconnaissons : la rhétorique est la dimension amoureuse de l’écriture.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 277-278.

David Farreny, 12 sept. 2009
donnez

Il en est qui trouvent ça beau ; moi, la seule réaction que m’inspirait la majesté répugnante de la ligne des Alpes était un haussement d’épaules : trop de Stifter ! Même les fines étincelles jetées de loin en loin par les parois bleu vert n’arrivaient pas à me convaincre : donnez-moi un paysage plat, avec de vastes horizons (ici on est coincé comme dans un sac en papier !).

Arno Schmidt, « Continents déplacés », Histoires, Tristram, p. 65.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
humour

Je défie quiconque de trouver de l’humour à qui que ce soit très longtemps.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 24 mars 2012
éclat

… Or il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, mêlant à mes propos du jour toute cette alliance, au loin, d’un grand éclat de mer — comme en bordure de forêt, entre les feuilles de laque noire, le gisement soudain d’azur et de ciel gemme : écaille vive, entre les mailles, d’un grand poisson pris par les ouïes !

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 263.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
saccades

En ne trouvant sa place nulle part, il tourmentait les autres ; les chassait de leur place ou tout au moins la leur rendait invivable. Dès que mon père entrait dans la grande salle, le malaise s’y installait. Se contentait-il d’être debout à la fenêtre que nous autres étions frappés d’une brusquerie qui nous faisait tout faire par saccades.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 65.

Cécile Carret, 4 août 2013

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