oisif

Oisif demeuré tout le week-end — conçu de cela aucun remords.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 145.

David Farreny, 15 nov. 2002
consentir

Il étendit ses jambes devant lui, le plus loin qu’il put ; et si limité qu’il fût, leur déplacement lui parut interminable. À ce moment-là, le bruit de l’avenue était si fort qu’il n’entendit pas le raclement de ses semelles sur le sable ; et ce fut comme si, la dernière preuve de son existence matérielle lui ayant été retirée, il avait enfin trouvé la clef du passage et de la révélation. Il se sentit soudain soulagé, pardonné, absous ; tout était bien, il s’agissait seulement de consentir. Cette idée le transporta : il lui sembla qu’elle seule était encore capable de mobiliser ses forces déclinantes. Ses yeux se fermèrent, de nouveau, mais sur une lumière douce, accueillante, comme celle d’un matin d’été filtrant à travers des volets qu’on tarde paresseusement à ouvrir. Le fracas de la ville le traversait de part en part, et il n’y faisait pas d’obstacle ; la fraîcheur de l’air vif tendait la peau de son front, celle de ses joues, son menton. Il le devinait, une part de lui-même était déjà prête à s’associer au grand emportement des choses, à leur dérive, à la dispersion environnante. Il sentit même qu’il s’efforçait d’en percevoir la direction afin de s’y joindre, mais il n’y parvenait pas bien. À peine sorti de lui, son élan retombait sans force ou plutôt se figeait à son contour comme une buée tiède.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 63.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
joué

Cependant marcher dans la rue me fait du bien, je suis moins triste. Peut-être même que je chantonne (très curieux glissements d’humeur, semblables à ceux des nuages ; comme si tout ça était en partie joué — ce que c’est, bien sûr, mais alors il n’y a rien qui ne le soit).

Renaud Camus, « jeudi 29 avril 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 202.

David Farreny, 17 août 2007
saison

Quand la belle saison est là, on ne sait plus pourquoi on attendait la belle saison.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 62.

David Farreny, 12 mars 2008
trancher

Oraliser le poème, le lire en public à voix haute, m’est devenu possible, mais cela n’allait pas de soi, et n’est aucunement devenu une nécessité. Le poème reste d’abord une musique mentale, pour l’oreille interne. La page est sonore et silencieuse à la fois, une sorte de musique d’œil où j’entends parfaitement rythmes et sons. On peut ajouter que lire à voix haute force à trancher entre des propositions que la page laissait simultanément libres. En lisant, j’impose telle connexion de sens, alors que l’écrit me permettait de le laisser flottant. La même question se pose pour la traduction du poème en une autre langue. Si j’écris « la vie / dure », la voix ou le traducteur devra trancher entre verbe et adjectif, alors que l’écrit cumule les deux possibilités. Cette question de l’épaisseur du simple m’intéresse depuis longtemps.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 31.

Cécile Carret, 4 mars 2010
ductilité

On est beaucoup plus endurant à dix-sept ans qu’avec deux fois cet âge. On n’en porte que la moitié. On n’a rien que des illusions à dépouiller, une douleur à répudier. On a une espérance, l’idée neuve, étourdissante qu’on peut. Puis on en a le double. On a fait ce qu’on devait. Ce qu’on voulait tarde à se produire et on n’ira surtout pas se demander si ce ne serait pas, par hasard, parce qu’on ne pouvait pas. Il est trop tard pour l’admettre. On a perdu la ductilité ou la ténacité qui permettrait, ça aussi, de le subir en plein, de le penser. On va feindre, aussi, de ne pas trop bien savoir ce qu’on fabrique alors qu’on s’occupe activement du chantier obscur qu’on avait abandonné dix-sept ans auparavant.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 171.

Élisabeth Mazeron, 21 juin 2010
arc

Mais comme il est arrivé aussi, dans les chaleurs du sud, qu’on manque de pierres parmi les sables, on a inventé la brique pour se construire d’abord des temples et des palais, des remparts et des ziggourats, puis tout naturellement des ponts. Le recours à cette brique permettant de nouveaux équilibres et supposant de nouveaux systèmes de construction, on a fini par imaginer l’arc, quelque sept mille années avant Gluck. L’arc est assurément ce qu’on a trouvé de mieux, ce qui allait tout changer, c’était une invention avec laquelle on était loin d’en avoir fini, il y en a quelques-unes comme ça dans le genre de la roue.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 59.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
loi

Il avait coutume de nommer ses vertus et ses défauts, Chambre des communes et Chambre des Lords et, très souvent, la première promulguait une loi que la seconde refusait d’adopter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 135.

David Farreny, 23 oct. 2014
gens

De ce jour datent ma défiance à l’égard des bandes où mon « je » – aussi inconsistant soit-il – aurait à se dissoudre dans la confusion – aussi structurée soit-elle – d’un « nous » et, plus profondément, mon malaise à exister avec ce qu’on appelle les gens. Une église, un parti, un syndicat, mais aussi ce genre de bandes où on revendique et cultive une identité ethnique, culturelle, sexuelle, que sais-je, sont des moi collectifs identifiables que je prends plaisir, s’ils me sollicitent, à éconduire ou à traiter comme des fâcheux. Ivresse bon marché de la distance et petit luxe du refus : rien de plus facile de m’affirmer sachant que personne ne m’oblige à adhérer ni même à sympathiser. Peine ou plutôt joie perdue avec l’incommensurable Léviathan que sont les gens et qui m’étreint comme chacune de ses victimes dans les tentacules de l’anonymat et de l’impersonnalité. Ce moi-là, rien ne l’entame et nul ne lui échappe. Les individus s’y fondent et s’y confondent ; il les absorbe dans son idiotie – et c’est pourquoi il y a des jours où j’éprouve une très forte envie de « sécher » la vie comme un lycéen parle de « sécher les cours », envie de rester chez moi, seul, absolument seul, sans rien donner de moi aux autres et sans rien recevoir d’eux. Mais malgré que j’en aie, je sens bien que mon « Je » est les gens, que je ne peux prétendre qu’à une singularité quelconque et que ma solitude n’est qu’un lieu commun.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., pp. 34-35.

David Farreny, 14 mai 2024

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