volume

Il y a le triste édifice où nous étions enfermés, octobre au carreau, le soin prolongé de l’étude et puis, au cœur de la situation, au sein d’un volume imprimé, la porte ouverte sur la forêt des possibles, l’or inépuisable des visions.

Pierre Bergounioux, « La voix du bois », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 65.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
journée

La pluie, qui amincit le jour, n’est pas soumise à un horaire administratif. Bien avant l’aube, elle crible un rêve inexplicable où la chair de l’autre est comme sa propre chair. Une fusion jusqu’alors inconnue.

Les premiers gestes de vivre resteront baignés de cet impossible ; oripeaux jetés pêle-mêle sur le vif ; yeux, front, vitre, ciel, tout collés les uns aux autres, journée qui s’amorce qu’une bête déclinerait.

Jean-Pierre Georges, « Rideau », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 60.

David Farreny, 31 mars 2008
morveux

La matinée est bien avancée lorsque je peux m’asseoir enfin à la table de travail, obéir à l’injonction impérieuse que m’adresse, du fond du temps, le morveux de dix-sept ans qui découvrit qu’il était permis d’être un peu fixé sur ce qui se passe alors qu’il avait abandonné toute espérance à ce sujet. Je suis un instant à surmonter l’effroi qui m’empoigne chaque fois que je me retrouve au pied de la muraille puis je trace un mot, un autre et continue petitement.

Pierre Bergounioux, « vendredi 13 avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 299.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
érosion

Korbous. Les maisons ici, les coupoles, les balustrades souffrent d’une sorte d’érosion par excès, surbadigeonnées de blanc. Les formes s’empâtent ainsi et s’arrondissent de couches successives qui font comme des déformations articulaires, créant une harmonie rugueuse dans ce rêve de neuf que tout contredit.

Gérard Pesson, « mardi 30 juillet 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 242.

David Farreny, 27 mars 2010
étais

tout ce métal tout ce granit tous ces étais

pour que tienne le pariétal

quand tu ne craindras plus les eaux

tu t’appuieras au fond du crâne

comme à ce mur chaud

qui fait oublier le glaucome du soleil

et regarderas devant

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine, p. 39.

David Farreny, 28 nov. 2010
lampe

L’obscurité de la lune invisible. Les nuits à peine un peu moins noires à présent. Le jour le soleil banni tourne autour de la terre comme une mère en deuil tenant une lampe.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 54.

David Farreny, 18 mai 2011
encycliques

Il m’a dit : « Mon père est curé, mon oncle est maître d’école, mes frères et sœurs sont tous installés à Java. » Voilà un curé qui n’a pas lu un certain nombre d’encycliques. M’a raconté qu’aux Célèbes les pêcheurs vont à la messe couverts d’amulettes. Il parle parfaitement l’anglais et le hollandais. Il passe littéralement sa vie en train pour inspecter je ne sais quoi. De petits télégrammes le suivent de station en station : « Vous avez oublié vos pantoufles dans l’express de Malang », « J’ai des fruits frais pour vous, où dois-je les envoyer ? », etc.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 118.

Cécile Carret, 28 juin 2012
bascule

J’ai toujours eu cette fantaisie de vouloir descendre à pied de la gare un jour, plus tard.

À l’époque, à Blois, ça ne se faisait pas. C’était un truc de pauvre, de désargenté, de moins que rien, disons. Seuls les misérables, les Fous oubliés par la Chauffe, descendaient à pied de la gare. C’était une indignité.

Pourtant, ça me plaisait beaucoup, ce trajet vers le centre-ville. C’est une longue et vraie descente, avec un sentiment physique ; une bascule quasiment ; ça me faisait penser au monde qui pencherait, plat, comme dans l’idée des Anciens, où on pouvait atteindre le rebord et dont on pouvait tomber.

La bascule perpétuelle de la ville vers son centre, comme la fourmi au bord du cône du fourmilion.

[…]

À l’inverse, la montée vers la gare – chargée du même opprobre – est assez pénible, peut-être même une épreuve. Comme toutes les montées, évidemment, mais celle-ci particulièrement.

Comme un certain calvaire. Et moins joli, au fond – ce qui est explicable – bien qu’on y passât dans l’inverse des mêmes beautés ; sans doute quelque chose de subtilement décalé dans la vision.

La fermeture, la clôture de l’horizon, dans la montée que l’on faisait plutôt à droite tandis qu’on descendait à gauche. Le repliement, le feuilletage différent des perspectives. La pente ardue qui tire sur les mollets.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 132.

Cécile Carret, 30 sept. 2013
gains

À ses moments de lucidité, il ne voit personne, ne parle à personne. Ses moments de lucidité sont nombreux. Le calme règne. Ce n’est que très rarement qu’une lucidité supérieure illuminante lui enjoint de se montrer sociable et communicatif comme on doit l’être. Brève ébriété mais erreur funeste. Une ou deux soirées suffisent et c’est la banqueroute : tous ses gains perdus d’un coup.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (3) », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 119.

David Farreny, 12 juin 2014
rustique

Les voitures que l’on entend de loin avant d’être ébloui par l’éclat du soleil sur leur pare-brise grimpent la côte, puis redescendent. La rumeur, les reprises, la grimace des moteurs, la vitesse et le vent qu’elles déplacent rendent le silence qui les suit plus rustique.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 5.

David Farreny, 20 juil. 2014
plantés

N’est ineffable ou indicible que la chose dont j’ignore le nom. Et même, avec les mots dont je dispose, je peux élaborer la périphrase qui colmatera cette lacune lexicale. Le sentiment, assez commun, de vivre ou d’éprouver des expériences que le langage humain ne saurait décrire relève plutôt, je le crains, d’une exaltation proche de celle qui nous fait appréhender parfois, croyons-nous, l’existence de Dieu ou la présence des morts, une espèce d’illusion mystique qui a pour unique fondement notre incapacité à nous résoudre à n’être que ce que nous sommes, des animaux mortels, certes fines mouches et rusés renards, mais plantés dans nos corps et dans ce monde sans issue.

Éric Chevillard, « mercredi 13 novembre 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
andropause

J’andropause en majesté sur mon trône vermoulu, contemplant d’un œil mort mes sujettes à caution.

Éric Chevillard, « mardi 17 octobre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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