intérêt

Quand la vérité n’a pas grand intérêt, le mensonge est légitime.

Philippe Jaenada, La grande à bouche molle, Julliard, p. 57.

David Farreny, 14 avr. 2002
conscience

Il n’y a pas que le soleil qui ne se puisse regarder en face, ni la mort : il y a aussi le malheur, le vrai malheur de l’univers, celui que l’on prend soin, par prudence, par pitié, par politique ou par résignation, de cacher à nos yeux, à nos intelligences et à nos cœurs, justement parce que nous n’aurions pas la force, juge-t-on (et c’est sans aucun doute à juste titre), d’en contempler la profondeur, d’en imaginer seulement la noirceur sans écho. Dans toutes ces institutions, si nombreuses en Lozère, où sont recueillis les plus mal armés à vivre de nos semblables, il se prodigue sans doute beaucoup de gentillesse, on veut le croire, de douceur, de patience, de compétence professionnelle et d’humanité. Mais rien de tout cela n’est suffisant, à de certaines heures, pour empêcher le malheur, la souffrance, et la trop claire conscience de la réalité de l’horreur, de s’échapper des maisons fortes où l’on tâche de les contenir, et de ramper dans les vallées profondes, entre les feuilles, sur les plateaux, le long des routes, comme un brouillard qui ravage l’âme, et qui la laisse pantelante de peur, d’impuissance et de mépris d’elle-même, pour son aveuglement volontaire.

Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 106.

Guillaume Colnot, 8 mars 2004
mûr

Bien que je ne voie pas encore le terme de ma vie, un sentiment secret m’assure pourtant que mon heure est proche. Je suis mûr pour la mort, et il me paraît trop absurde, alors que je suis mort spirituellement, et que la fable de l’existence est achevée pour moi, de devoir durer encore quarante ou cinquante ans, comme m’en menace la nature. Cette seule idée me fait frémir. Mais, comme il en est de tous ces maux qui dépassent l’imagination, cette perspective me semble un songe et une illusion qui ne se vérifieront jamais.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 241.

David Farreny, 9 nov. 2005
hiver

Tout le monde est malade, grippe, arête, l’hiver taille en pièces. Genève, elle, est pleine de campagne et je te vois reprenant tes sentes sous les horloges bleues, et dans la nuit, au-dessus du lac, contre la montagne. LA PAIX HÔTEL DE LA PAIX HÔTEL DE sur son parapet. On doit entendre au Richemond des bouts de concerts. Je t’aime même dans mon sommeil. Je lis tard.

Dominique de Roux, « lettre à Christiane Mallet (15 décembre 1971) », Il faut partir, Fayard, p. 278.

David Farreny, 21 août 2008
attirer

Il retira lentement son bras et ils restèrent assis un moment en silence jusqu’à ce que Frieda, comme si le bras de K. lui avait donné une chaleur dont elle ne pouvait plus maintenant se passer, lui dit :

« Je ne supporterai pas cette existence ici. Si tu veux me garder il faut que nous partions, allons n’importe où, dans le Midi de la France, en Espagne. — Je ne veux pas émigrer, dit K. Je suis venu ici pour y rester. J’y resterai. » Et par une contradiction qu’il ne se donna pas la peine d’expliquer, K. ajouta comme pour lui-même : « Qu’est-ce qui aurait bien pu m’attirer vers ce morne pays sinon le désir d’y rester ? »

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 631-632.

David Farreny, 22 oct. 2011

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