attendant

Mais Crab ne trouve pas à s’employer. On lui préfère à chaque fois un autre candidat, plus motivé. Et Crab rejoint ses compagnons, car il n’est pas le seul volontaire rabroué et il a fini par lier connaissance avec tous ces hommes en réserve de la vie — ces êtres qui palpitent dans un infinitif pétrifié —, qui un jour peut-être seront appelés, mais ne savent plus quoi lire en attendant.

Comment occuper ce corps sans rôle qui fonctionne inutilement, que faire de cette tête qui tourne à vide ? Il faudrait procurer un travail au premier, des distractions à la seconde. C’est ainsi que Crab passe le plus clair de son temps à se donner des gifles.

Éric Chevillard, La nébuleuse du crabe, Minuit, p. 63.

David Farreny, 2 sept. 2002
force

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 47.

David Farreny, 22 oct. 2004
toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
proclivités

Quand ça me prend de circuler au creux des vagues

de gens chargés d’une journée de travail nul

et que je scrute chaque face pour trouver

je ne sais quel message en ces regards d’adultes

alors comme tant d’obsédés qu’on voit toujours

s’arrêter dans la foule grise dans la foule

molle bouffer avidement des yeux l’objet

précis qu’une vie tordue leur présente inlas-

sablement aux proclivités de leur désir

comme eux je m’arrête moi aussi et je plante

mon esprit dans le corps des enfants insouciants

car seulement en eux je vois que ça peut être

tellement beau la condition humaine ou bien

que ce serait tellement frais si je pouvais

me saisir de ces vies pour les humer de près.

Mais le jour peu à peu se dilue dans la brume :

il ne me reste de la rue que le bitume.

William Cliff, « La rue », Marcher au charbon, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 4 sept. 2009
manières

17. Choses détestables

[…] Des gens de cette sorte, quand ils arrivent chez quelqu’un, balaient d’abord, avec leur éventail, la poussière de l’endroit où ils vont s’asseoir ; puis ils ne se tiennent pas tranquilles à leur place, ils s’étalent, prennent leurs aises, et ramènent sous leurs genoux le devant de leur vêtement de chasse. On pourrait croire que de telles manières se rencontrent seulement chez des personnes négligeables ; mais j’ai connu des gens d’une assez bonne condition, comme un « troisième fonctionnaire » du Protocole, dignitaire du cinquième rang, un ancien gouverneur de Suruga, qui se conduisaient pareillement. De même, c’est un spectacle extrêmement détestable que celui de gens qui, après avoir bu du vin de riz, crient fort, s’essuient la bouche d’une main hésitante, caressent leur barbe s’ils en ont une, et passent leur coupe à d’autres. Sans doute s’encouragent-ils mutuellement à boire ? Ils frissonnent, branlent la tête, font la moue, et chantent des chansons comme celle de « La jeune fille qui vint aux bureaux de l’administration provinciale ». Tout cela, je l’ai vu chez des gens très bien, et je trouve que c’est répugnant.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, pp. 53-54.

David Farreny, 11 mai 2010
sublimer

Il sera le premier à contrôler l’électricité en profitant de la puissance des fleuves, en canalisant cette énergie fourvoyée qui ne servait que la migration libidinale des saumons ; il va la dompter, la domestiquer, non pour aveugler de lumière le théâtre du drame comme nous l’avons fait, mais pour sublimer les choses mêmes, pour en révéler l’éclat intérieur. Une joie inconnue va inonder la Terre. Miroitant corbeau. Crapaud radieux. Tout rayonne. Le terne caillou était donc une pépite.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 47.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
France

Revoir la France.

C’est d’abord l’odeur javellisée des camionnettes qu’on dépasse. Les bâches vert Véronèse des mêmes camionnettes et la belle couleur de la publicité Olida ou Saint-Raphaël qui frappe. Ensuite c’est la largeur de la campagne. Étendue dans laquelle cet effort crispé pour l’ordonnance des maisons et des jardins – qui gêne en Suisse – n’est pas nécessaire parce que les villages – même morts, même bâclés – ne peuvent rien contre l’ordre puissant des paysages. Il y a une part de générosité dans l’anarchie, une part positive qui me frappe bien plus que la négative. Ici en tout cas. En retrouvant la France, cette France à la Courbet qui s’étend de Poligny à Dijon, les mots « suc » et « durée » me venaient sous la langue.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 60.

Cécile Carret, 18 juin 2012
lui-même

La chambre la moins chère d’un hôtel aussi misérable que le Winslow coûte 200 dollars par mois. Il lui en reste 78, c’est peu, mais il ne veut pas chercher de travail. Ça lui va de se soûler au vin californien à 95 cents le magnum, de fouiller les poubelles des restaurants, de taper ses compatriotes, au pire de faucher des sacs à main. Il est une merde, il vivra comme une merde. Ses journées se passent à marcher dans les rues, sans but, mais avec une préférence pour les quartiers pauvres et dangereux où il sait qu’il ne risque rien parce qu’il est pauvre et dangereux lui-même. Il s’introduit dans les maisons abandonnées, aux volets cloués, ceinturées de palissades verdies. On y trouve toujours, croupissant dans des flaques d’urine, des clochards avec qui il aime bien discuter, rarement dans une langue commune. Il aime aussi se réfugier dans les églises. Un jour, pendant un office, il plante son couteau dans le bois d’un prie-dieu et joue à le faire vibrer. Les fidèles l’observent du coin de l’œil, inquiets, mais nul n’ose l’approcher. Le soir, quelquefois, il se paye un cinéma porno, moins pour s’exciter que pour pleurer doucement, silencieusement, en pensant au temps où il y allait avec sa très belle femme et la faisait jouir, provoquant la jalousie des épaves dont il fait maintenant partie.

Emmanuel Carrère, Limonov, P.O.L., p. 162.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2012
rayonnement

Mais ce dont je me souviens, plus que de la forme du bâtiment ou de l’atmosphère des salles et des couloirs, c’est de l’impression que j’eus en arrivant, ce jour d’hiver, sur la grande terrasse formant belvédère et donnant sur le paysage de collines assez élevées des monts du Lyonnais. Alors que je me serais plutôt attendu à l’enchaînement de visions un peu sinistres que ce genre de maisons de repos manque rarement de provoquer – vieil homme avançant péniblement derrière son déambulateur dans un couloir beige orné de plantes vertes et d’affiches reproduisant des tableaux impressionnistes, groupe de vieilles femmes en robe de chambre s’efforçant de boire une tisane ou un thé au goût de carton dans un réfectoire où un sapin de Noël décoré que personne ne regarde clignote sans fin –, je me retrouvais dans une sorte d’apothéose hivernale : non ces jours où une lumière d’or accentue les reliefs en les creusant, accordant à toute chose d’avoir l’air de séjourner – un instant – hors du temps, mais un de ceux, et ils sont moins nombreux encore, où le concours du brouillard et du soleil aboutit à une sorte d’émulsion qui est comme un milieu de lumière vaporisé où tout semble flotter et être en gloire, la visibilité, à laquelle pourtant en règle générale on tient, étant remplacée par l’affirmation sereine, enthousiaste, juvénile et sans âge, d’un pur rayonnement.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
simples

La photographie au Japon est extraordinaire. Il pose devant moi un paquet de photos japonaises. Regardez comme elles sont modestes, simples et ingénieuses. Ici, vous avez un arbre tout seul.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 98.

Cécile Carret, 22 juin 2013
travail

Hommage à Mariano, d’Almería. À quarante et un ans, il vit encore chez sa mère. Il se rend pour la première fois au travail et meurt le jour même. C’est dans le journal.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 78.

David Farreny, 28 fév. 2024

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