Chez la plupart des théoriciens, on trouve des textes réclamant ou soutenant, dans certains cas, l’opposé précisément de ce que ces auteurs sont fameux pour avoir réclamé et soutenu. Il ne s’agit pas de contradictions, mais de raffinements.
Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 32.
Je comprends qu’adoptant une bonne mienne habitude, renverse-monde, mais très stabilisatrice, vous passez la moitié de votre vie au lit.
Henri Michaux, « lettre à Claude Cahun (avril 1952) », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. XXIX.
Ma vie : Traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 455.
Toute conscience, Husserl l’a montré, est conscience de quelque chose. Cela signifie qu’il n’est pas de conscience qui ne soit position d’un objet transcendant, ou, si l’on préfère, que la conscience n’a pas de « contenu ». Il faut renoncer à ces « données » neutres qui pourraient, selon le système de références choisi, se constituer en « monde » ou en « psychique ». Une table n’est pas dans la conscience, même à titre de représentation. Une table est dans l’espace, à côté de la fenêtre, etc. L’existence de la table, en effet, est un centre d’opacité pour la conscience ; il faudrait un procès infini pour inventorier le contenu total d’une chose. Introduire cette opacité dans la conscience, ce serait renvoyer à l’infini l’inventaire qu’elle peut dresser d’elle-même, faire de la conscience une chose et refuser le cogito. La première démarche d’une philosophie doit donc être pour expulser les choses de la conscience et pour rétablir le vrai rapport de celle-ci avec le monde, à savoir que la conscience est conscience positionnelle du monde. Toute conscience est positionnelle en ce qu’elle se transcende pour atteindre un objet, et elle s’épuise dans cette position même.
Jean-Paul Sartre, « Le cogito “préréflexif” et l’être du “percipere” », L’être et le néant, Gallimard, pp. 17-18.
La contradiction c’est que le monde est perpétuellement nécessaire comme obstacle à anéantir. Le violent est donc de mauvaise foi parce que, si loin qu’il pousse les destructions, il compte sur la richesse du monde pour les supporter et fournir perpétuellement de nouveaux destructibles.
Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 183.
J’ai perdu l’inspiration en me taisant et Phébus ne me regarde plus.
Ainsi en fut-il des Amycléens : ils se taisaient et leur silence les perdit.
Anonyme latin, La veillée de Vénus.
J’étais en train
de lire un livre
quand tout à coup
je vis ma vitre
emplir son œil absent d’oiseaux légers et ivres.
Oui, il neigeait.
La folle neige !
Elle tombait
tranquille et fraîche
dans le cœur tout troué comme un filet de pêche.
C’était si bon !
et j’étais ivre
de ces flocons
heureux de vivre
que ma main, oublieuse, laissa tomber le livre !
En ai-je vu
neiger la neige
dans le cœur nu !
Ah ! Dieu que n’ai-je
su garder dans mon cœur un peu de cette neige !
Toujours en train
de lire un livre !
Toujours en train
d’écrire un livre !
Et tout à coup la neige tranquille dans ma vitre !
Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 225.
Mais que révèle la photographie d’un visage ? Nous y voyons une certaine organisation des traits, partant d’un patron commun, des variations personnelles – audacieuses parfois – autour d’un principe élémentaire duquel il s’agit cependant de ne point trop dévier ou bien le cliché figurera dans un de ces recueils pour amateurs que l’on consulte dans les bibliothèques des cabinets de curiosités. Mais notre secret reste bien gardé.
Que fait cet homme ainsi absorbé, retiré dans les profondeurs de sa conscience ? Vous le voyez bien : il s’expose. Mais que fait-il alors, ainsi exposé ? Vous le voyez bien : il se cache.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 72.
Un égotiste qui ne s’intéresse pas, comble de l’amour déçu.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 68.