registre

Le vrai fou est celui qui se fait à lui-même toutes les objections de la raison et s’en accommode à merveille, comme si elles relevaient d’un autre registre de l’existence.

Renaud Camus, « samedi 1er février 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 68.

David Farreny, 30 avr. 2006
esprit

Et comme la vie et le travail se trouvaient dissociés, on a tiré au cordeau des voies rapides remparées de glissières en acier zingué, connectées au moyen d’échangeurs et de rocades où il vaut mieux éviter de se tromper parce qu’il n’est plus question de faire demi-tour et de recommencer. Le droit à l’hésitation, le goût ténu de liberté ont disparu de la circulation. Elle a pris la fixité d’un destin où il me semble reconnaître, lorsque je me hasarde sur les autoroutes de ceinture, l’esprit désastreux du présent.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, pp. 33-34.

David Farreny, 17 oct. 2006
navigation

Je ne mépriserai jamais ce temps-là, ni ne m’associerai à ceux qui en rient. Avec beaucoup de choses graves ou sensibles que nous apprîmes ensuite à connaître, nous ignorions, alors, la peur, la jalousie, la lâcheté. […] Nous étions extrêmement audacieux et tendres. Cela suffit bien à ce que nous n’insultions pas notre jeunesse.

Puis, il fallut en finir. L’inertie du monde l’emportait, notre force juvénile déjà contre elle s’épuisait. […] Il se peut que nous ayons pleuré. Plus tard, il élut la littérature, moi la navigation. Il nous semblait, je suppose, à l’un comme à l’autre, que ces activités périphériques et hasardeuses ne trahissaient pas la vaste rêverie qui nous avait tenus si longtemps occupés. Nous avions raison. C’étaient de mauvais choix, des métiers sans avenir. On ne s’en relèverait pas.

Olivier Rolin, Port-Soudan, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 8 avr. 2008
avaries

C’est le trait terrible dans le vieillissement : il vous donne bientôt la gaîté de cœur qui permet d’accepter comme allant de soi des retranchements sur les sens et sur le cœur, considérés auparavant comme de monstrueuses avaries.

Pierre Drieu La Rochelle, « Récit secret », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 12.

David Farreny, 5 juil. 2009
jardin

Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me treuve plantant mes chous, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait.

Michel de Montaigne, « Que philosopher c’est apprendre à mourir », Essais (I), P.U.F., p. 89.

David Farreny, 31 oct. 2009
manquer

Autrefois, c’était la présence de désirs sexuels qui m’empêchait de m’exprimer librement devant les personnes dont je venais de faire la connaissance ; ce qui m’en empêche maintenant, c’est que je suis conscient d’en manquer.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 175.

David Farreny, 13 oct. 2012
poupon

D’où il termine en affirmant que les livres, oui, tous, dit-il, tous les romans qui marchent, toutes les histoires à bons sentiments filmables d’aujourd’hui, excellentes intentions, irréprochable morale, synopsis philanthropes, pourraient se résumer, se traduire, se transcrire sur écran sous la forme, au fond, d’une sorte d’énorme poupon.

Philippe Muray, Postérité, Grasset, p. 91.

David Farreny, 5 déc. 2012
île

ÎLE est un pronom personnel transgenre. Pour le ou la naufragé(e), la solitude sera moins cruelle.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 57.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
sinuosités

S’il faut renoncer, pour se faire entendre, aux sinuosités délicieuses de la pensée, alors mieux vaut abandonner la pensée. Ce n’est pas elle, en effet, qui est un plaisir, ce sont les sinuosités qui la conduisent. La pensée est une province de la Sinuosité en soi. La Sinuosité est la littérature même.

Philippe Muray, « 1er novembre 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 222.

David Farreny, 29 fév. 2024
pérégrination

Seul le cauchemar de l’histoire nous laisse deviner le cauchemar de la transmigration. Avec une réserve cependant. Pour le bouddhiste, la pérégrination d’existence en existence est une terreur dont il veut se dégager ; il s’y emploie de toutes ses forces, effrayé sincèrement par la calamité de renaître et de remourir, qu’il ne songerait pas un instant à savourer en secret. Nulle connivence chez lui avec le malheur, avec les périls qui le guettent du dehors et surtout du dedans.

Nous autres, en revanche, nous pactisons avec ce qui nous menace, nous soignons nos anathèmes, sommes avides de ce qui nous broie, ne renoncerions pour rien à notre cauchemar à nous, auquel nous avons prêté autant de majuscules que nous avons connu d’illusions. Ces illusions se sont discréditées, comme les majuscules, mais le cauchemar reste, décapité et nu, et nous continuons à l’aimer parce qu’il est précisément à nous, et que nous ne voyons pas par quoi le remplacer. C’est comme si un aspirant au nirvāna, las de le poursuivre en vain, s’en détournait pour se rouler, pour s’enfoncer dans le samsāra, en complice de sa déchéance, à peu près comme nous le sommes de la nôtre.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 924.

David Farreny, 7 mars 2024
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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