Une vie limitée. Locale. On vit de ce que le jour apporte. Personne ne regarde autour de soi, chacun regarde son propre sentier défiler sous ses pieds. Travail. Famille. Gestes. Vivre tant bien que mal… Concrètement.
C’est fatigant et attirant à la fois… Ah, j’aspire tellement à cette limitation ! J’en ai déjà assez du cosmos.
[…] Je prends note de ce désir en moi. Aujourd’hui, à Tandil.
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 584-585.
Telles sont les aventures sur place de celui qui les voit venir, avant qu’elles ne se produisent, la nature étant lente comme on le sait, si lente, si engoncée dans ses habitudes qu’on croirait presque à des lois.
Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 719.
Dans le brassage des concepts il était de plus en plus difficile de trouver une phrase pour soi, la phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre.
Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 222.
Mes oreilles bourdonnaient, je n’étais plus à moi. Il y a une longue ligne droite après la sortie du bourg, plus loin que les noyers, avant les bois, tout entourée de grands champs ; mon regard durement fouillait ces champs, se portait aux confins, remontait aux lisières, tous lieux où mille fois naissait Yvonne dans ses bas, blanche, les reins nus dans le froid, mordue, jetée hors du bois dans les sévices de l’hiver et de mon esprit.
Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.
Il les mesurait du bec à la queue et d’une pointe de l’aile à l’autre. Quand les chiffres avaient un caractère vraiment anormal, il lâchait l’oiseau avec une brève exclamation de dégoût et il levait la tête, et nos yeux se croisaient, essayant de lancer un dialogue qui ne prenait pas.
Avec Tchinguiz Black j’avais en commun les années de camp, un intérêt inabouti pour l’ornithologie, une physionomie sinistre et aussi ces deux femmes, Sophie Gironde et Patricia Yashree, et la peur d’avoir perdu l’une d’elle à jamais, et une opinion négative sur le film Avant Schlumm ; mais nous ne savions plus parler ensemble ni garder ensemble la bouche close.
Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 196.
Les grandes promenades dans Paris, je les fais généralement à pied. J’ai parfois recours à l’autobus ou au métro, fusées porteuses qui me placent sur orbite. […] Je me parachute dans des secteurs moins connus pour le plaisir des quelques secondes pendant lesquelles, au sortir de la bouche de métro, complètement désorienté, je ne sais plus où je suis. Cette impression ne dure pas car, en vieux Parisien, je retrouve quand même assez vite mes marques, mais elle est vertigineuse. En montant les escaliers d’une station uniquement choisie pour son nom, parce qu’il ne me disait rien, j’émerge progressivement à la surface de la ville, dans une rue ou un carrefour inconnus à première vue, et c’est comme une nouvelle naissance.
Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 67.
L’énorme bureau familier, des stylos, la machine à écrire à même le sol, une jatte en verre mauve dans l’eau de laquelle des mégots de cigarettes immergés flottent comme des cadavres et, sur les feuilles manuscrites éparpillées, toutes sortes de gribouillis incompréhensibles, du genre : « Ici, atténuer sans faute ! » « La lanterne obscure de l’hiver… » « G. est pâle, mais éviter de le décrire, le suggérer seulement… »
Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.
La femme : « Aujourd’hui je suis allée en ville avec Stéphane. Il ne me comprend pas, les banques, les stations-service, les stations de métro, il trouve ça magnifique. »
L’éditeur : « Peut-être y a-t-il là-dedans une beauté nouvelle que nous ne pouvons simplement pas encore voir. »
Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 61.
On peut éprouver de la sympathie pour un optimiste, bavarder avec lui, échanger quelques banalités, quant à avoir une discussion c’est une autre histoire.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 33.
Mettre un point à la fin d’une phrase, c’est une déclaration de guerre.
Jérôme Vallet, « 26 juin 2020 », Georges de la Fuly. 🔗