expérience

L’expérience, c’est se rendre compte que rien n’a changé.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
pays

Ah fromage voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame au lait

Elle est du bon lait du pays qui l’a fait

Le pays qui l’a fait était de son village

Ah village voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame fromage

Elle est du pays du bon lait qui l’a fait

Celui qui l’a fait était de sa madame

Ah fromage voilà du bon pays

Voilà du bon pays au lait

Il est du bon lait qui l’a fait du fromage

Le lait qui l’a fait était de sa madame

Benjamin Péret, « Le grand jeu », Œuvres complètes (1), Éric Losfeld, p. 71.

Guillaume Colnot, 27 mars 2003
éternité

La régression temporelle ne peut que nous révéler une éternité antérieure dont absolument rien n’a pu être absent ; car nous ne pouvons pas concevoir que l’éternité qui nous suivra puisse réaliser quoi que ce soit de plus que la première.

Emil Cioran, « Maurice Maeterlinck », Solitude et destin, Gallimard, p. 265.

David Farreny, 24 juin 2005
image

J’étais accroché par une image, je marchais dans sa robe rouge.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 29.

David Farreny, 31 déc. 2005
charmer

Vous voulez demain faire cette démarche. Mais qui vous garantit contre vous-même ? Demain votre volonté d’aujourd’hui aura chu dans le passé, hors de la conscience, elle se sera ossifiée et vous serez entièrement libre par rapport à elle : libre de la reprendre à votre compte ou de vous engager contre elle. On ne peut jurer contre soi ni contre le temps. Le serment à soi, prototype de tous les serments, est une incantation vaine par quoi l’homme essaie de charmer sa liberté future.

Jean-Paul Sartre, « jeudi 23 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 220.

David Farreny, 26 déc. 2006
érosion

Korbous. Les maisons ici, les coupoles, les balustrades souffrent d’une sorte d’érosion par excès, surbadigeonnées de blanc. Les formes s’empâtent ainsi et s’arrondissent de couches successives qui font comme des déformations articulaires, créant une harmonie rugueuse dans ce rêve de neuf que tout contredit.

Gérard Pesson, « mardi 30 juillet 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 242.

David Farreny, 27 mars 2010
confettis

Adorer un seul Dieu, ne servir qu’un seul Prince. Or l’amour de la culture aussi est un monothéisme. À l’école, on appelait cet Universel la culture « générale ». Et l’on apprenait que le passage du polythéisme au monothéisme avait été décisif. La loi du Père contre la pullulation des idoles.

Que dire alors du chemin inverse ? Atomisée, pulvérisée, « éclatée », « explosée », la culture ne cesse de retomber en cotillons et confettis. On dit désormais « culture » pour dire la petite religion du local, le triomphe de la proximité, le goût du particulier, le denier du culte, le chatouillis idiosyncrasique, le jargon de la secte, le verlan des banlieues, l’habitus domestique, la manie du quidam, la dévotion du gri-gri, la prière aux lares, l’islamo-bouddhisme en dix leçons, le port du pantalon effrangé, l’araignée dans le plafond, l’exotisme culinaire, l’apprentissage des patois disparus, le double anneau dans le nez, les sports de l’extrême, l’exhibition de l’unicum anatomique, la fièvre obsidionale, Proust en trois cents mots, le règlement d’entreprise, le grillon du foyer, la lecture pour illettrés, le musée pour aveugles, le vu à la télé, le Campus pour tous et le voyage aux îles…

Au nom de l’Autre, mais non d’autrui, la culture de proximité, non du prochain, avec son tutoiement obligatoire, soumet chacun, non sans hargne, à la singularité linguistique, à la particularité ethnique, à l’entomologie vestimentaire, à la tératologie physiologique, à l’idiotisme psychologique, à la marginalité comportementale, au vocabulaire inouï, aux syntaxes extravagantes, aux décibels d’enfer. À chacun sa culture, donc, collages saugrenus de débris, de vestiges, de fonds de pot ou de tiroir, mœurs de flibustiers pullulant autour d’un naufrage.

Jean Clair, « La culture du ministère », Journal atrabilaire, Gallimard, pp. 72-73.

David Farreny, 21 mars 2011
tut

« Pour un acquittement réel toutes les pièces du procès doivent se trouver anéanties, elles disparaissent totalement, on détruit tout, non seulement l’accusation mais encore les pièces du procès et jusqu’au texte de l’acquittement, rien ne subsiste. Il en va autrement dans le cas de l’acquittement apparent. L’acte qui le statue n’introduit dans le procès aucune autre modification que celle d’enrichir les dossiers du certificat d’innocence, du texte de l’acquittement et de ses considérants. À tous autres égards la procédure se poursuit. On continue à la diriger vers les instances supérieures et à la ramener dans les petits secrétariats comme l’exige la continuité de la circulation des pièces dans les bureaux, elle ne cesse ainsi de passer par toutes sortes de hauts et de bas avec des oscillations plus ou moins amples et des arrêts plus ou moins grands… On ne peut jamais savoir le chemin qu’elle fera. À voir la situation du dehors on peut parfois s’imaginer que tout est oublié depuis longtemps, que les papiers sont perdus et l’acquittement complet ; mais les initiés savent bien que non. Il n’y a pas de papier qui se perde, la justice n’oublie jamais. Un beau jour — personne ne s’y attend — un juge quelconque regarde l’acte d’accusation, voit qu’il n’a pas perdu vigueur et ordonne immédiatement l’arrestation. […] Alors évidemment adieu la liberté.

— Et le procès recommence à nouveau ? demanda K. presque incrédule.

— Évidemment, répondit le peintre, le procès reprend, mais il reste toujours la possibilité de provoquer un nouvel acquittement apparent ; il faut alors recommencer à ramasser toutes ses forces ; on ne doit jamais se rendre. »

Peut-être le peintre avait-il dit ces derniers mots sous l’impression du découragement que K. commençait à marquer.

« Mais, demanda K. comme pour aller au-devant de certaines révélations éventuelles du peintre, le deuxième acquittement n’est-il pas plus difficile à obtenir que le premier ?

— On ne peut rien dire de précis à cet égard, répondit le peintre. Vous pensez peut-être que les juges sont influencés en faveur de l’accusé par la seconde arrestation ? Il n’en est rien. Au moment de l’acquittement, les juges avaient déjà prévu cette seconde arrestation. Elle ne les influence donc pas. Mais leur humeur peut s’être transformée, une foule d’autres motifs avoir changé leur opinion sur le cas, il faut donc s’adapter aux nouvelles circonstances pour obtenir le second acquittement ; aussi demande-t-il en général autant de travail que le premier.

— Et il n’est quand même pas définitif non plus ? dit K., niant déjà lui-même d’un mouvement de tête.

— Évidemment, dit le peintre, après le second acquittement vient la troisième arrestation, après le troisième acquittement la quatrième arrestation, et ainsi de suite. Cela tient à la nature de l’acquittement apparent. »

K. se tut.

« L’acquittement apparent, dit le peintre, n’a pas l’air de vous paraître avantageux ? Peut-être préféreriez-vous l’atermoiement illimité. Dois-je vous expliquer le sens de l’atermoiement illimité ? »

Franz Kafka, « Le procès », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 402-403.

David Farreny, 21 avr. 2011
bleu

L’âme souffrante se marque d’un bleu ; toutes ensemble cousues font le mystique azur.

Éric Chevillard, « lundi 26 janvier 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 26 janv. 2015
raisons

Les raisons de vivre commençaient à manquer. Il se confia à son meilleur ami qui lui démontra avec flamme que les deux ou trois auxquelles il s’accrochait encore étaient de purs sophismes.

Éric Chevillard, « lundi 7 juin 2021 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer