Allez la bagnole est en raque. On lui ouvre le ventre
et toute la famille est plongée en contemplation
devant le mystère gras et noir des organes en panne
William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 69.
Napoléon, dans sa conviction que le bien n’était pas ce qui était bien mais ce qui lui passait par la tête, écrivit à Koutouzov les premiers mots qui lui étaient venus à l’esprit et qui n’avaient aucun sens.
Léon Tolstoï, La guerre et la paix (2), Hazan, p. 451.
C’est son défaut d’accommodation à cette constante double valence de toutes notions et c’est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l’occidental en même situation qu’une géométrie plane en regard des polyèdres.
Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 45.
Verrues sur les doctrines
tripes sur les doctrines
crachats sur les doctrines
Henri Michaux, « Ratureurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 422.
Castres a de longue date joui pour moi d’un très grand prestige romanesque, dû pour partie à son nom effrayant, mais surtout à l’absence de toute image précise à elle associée.
Renaud Camus, « jeudi 5 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 415.
Celui qui a cru être ne fut qu’une orientation. Dans une autre perspective sa vie est nulle.
Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1064.
La musique est une pratique occulte de l’arithmétique dans laquelle l’esprit ignore qu’il compte. Car, dans les perceptions confuses ou insensibles, l’esprit fait beaucoup de choses qu’il ne peut remarquer par une aperception distincte. On se tromperait en effet en pensant que rien n’a lieu dans l’âme sans qu’elle sache elle-même qu’elle en est consciente. Donc, même si l’âme n’a pas la sensation qu’elle compte, elle ressent pourtant l’effet de ce calcul insensible, c’est-à-dire l’agrément qui en résulte dans les consonances, le désagrément dans les dissonances. Il naît en effet de l’agrément à partir de nombreuses coïncidences insensibles.
Gottfried Wilhelm Leibniz, lettre à Christian Goldbach, 17 avril 1712.
Hier, départ de New York vers 16 heures. Le diable pour trouver un taxi. Ciel gorge-de-ramier, mer de plomb, très lourd. On prend du recul : New York est gommé peu à peu. Le gratte-ciel, c’est une répétition, un jeu de Meccano, ce n’est pas de l’architecture : c’est un rez-de-chaussée recommencé 100 ou 120 fois. Il y a 47 ans tout, à New York, m’enthousiasmait, m’amusait. Les beaux panaches au cimier des casques (le chauffage central, au dernier étage) disparaissaient, l’été, les tons sont gris, vert bronze, beige, rouge sang. Des ruines d’un empire. Du haut du Chrysler Building, les docks comme des arêtes de hareng latérales.
Paul Morand, « 19 juin 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 405.
Quignard écrit aussi : « Avoir une âme, cela veut dire avoir un secret. » J’ai grand mal à souscrire à cette assertion — ce qui ne signifie pas, bien au contraire, que je ne la trouve pas intéressante, qu’elle ne me nourrit pas. Elle n’est juste, à mon sens, qu’à la condition de prendre le mot secret dans la définition que j’aime à lui donner : le seul secret qui vaille, c’est le secret qui reste quand tous les secrets sont levés. L’âme, oui : l’irréductible au sens, l’indicible, l’échappée de toute parole.
Renaud Camus, « dimanche 15 février 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 82.
Et, le matin comme le soir, et dans les rêves de la nuit, cette rue était le théâtre d’une circulation fiévreuse qui, vue d’en haut, se présentait comme un mélange inextricable de silhouettes déformées et de toits de voitures de toutes sortes, mélange compliqué sans cesse d’une infinité de nouveaux afflux, et d’où s’élevait un autre amalgame, encore plus forcené que lui, de vacarme, de poussière et de bruits répercutés, le tout happé, saisi, violé, par une lumière puissante qui, dispersée, emportée, ramenée à une vitesse vertigineuse par le tourbillon des objets, formait au-dessus de la rue, pour le spectateur ébloui, comme une épaisse croûte de verre qu’un poing brutal eût fracassée à chaque instant.
Franz Kafka, « L’oublié », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 33.
Je vis à fond l’instant passé.
Éric Chevillard, « mardi 2 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗
Puis nous levons le nez et il nous apparaît que tout notre avenir tient sur quelques post-it collés sur un mur.
Éric Chevillard, « lundi 26 mai 2014 », L’autofictif. 🔗