Je crois profondément que la civilisation a été inventée pour rendre possible la solitude.
Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 327.
Que ferait-on si l’on ne devait
exister qu’à ses propres yeux
rien pardi
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 35.
Feu. Feu. Feu incessamment répété.
Enfin s’interposant, la morphine place ses étouffoirs et je puis regagner ma coupole (si je puis dire) et un espace, libre de feu. Je m’y endors.
Réveil.
Le feu reprend.
Feu. Feu. Feu. Feu incessamment feu. Feu pour moi, pour moi tout seul brûlant.
Kermesse inepte qui veut qu’on s’intéresse à elle, quand moi je voudrais passer outre. Ainsi nous restons sans nous entendre, moi avec elle, criant comme une sourde.
Visite.
Paroles qui volent. Paroles qui veulent. Paroles qui ne peuvent me distraire des torrents de feu. Paroles qui dévalent… tandis que le feu, énorme feu… il faudrait ne pas participer. Oui, mais comment ?
Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 863.
Le solitaire sera éclaboussé par tous.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1183.
Or la puissance du désir est telle, et les ressources de l’imagination qui la soutiennent sont si considérables que quatre ou cinq mois d’une attente ainsi nourrie étaient aussi riches, aussi pleins de sentiments variés que si celui qui m’occupait l’esprit avait effectivement partagé ma vie pendant cette période. Voilà pourquoi celui qui attend longtemps ne se décourage pas. Sans qu’il soit fou, sans qu’il confonde ses rêves avec la réalité, son obsession leur donne une consistance qui en fait des passerelles solides entre les événements réellement vécus, tandis que bien souvent ce sont ces événements qui, par leur brièveté, ou par la déception qu’ils causent, pourraient n’avoir été que rêvés.
Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 68-69.
Champion
de la
détestation
en tout genre
briseur de vie
dont
la mienne
réducteur
de tout ce
qui n’est pas
à ma taille
bulle
ne remontant
définitivement plus
à la
surface
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 37.
Porté par un tel élan, j’y fus bientôt, et, sous l’orbe adouci de la lampe, je retrouvai le lieu d’une existence dont la médiocrité m’apparut, brutale, et d’un coup. Rien n’avait changé cependant, et, dans ce sommeil qu’ont les choses la nuit, mes objets familiers demeuraient à leur place, silencieux et prêts à l’usage.
Un reste de feu mourait sous la cendre ; sa lueur dorait le flanc d’un vase, et, çà et là, quelques reliures. Je vis sur ma table le travail commencé, les feuillets noirs, et la plume, et les notes innombrables. Je vis tous ces témoins de mon labeur et de ma foi ; leur inutilité navrante m’apparut, et celle même de ma vie, et son ordre pauvre. Je perçus combien grande était ma faiblesse, et je m’épeurai.
Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 84-85.
Quelques forces que la nature déploie et lâche contre l’homme : le froid, les bêtes sauvages, l’eau, le feu, il sait les moyens d’y faire face ; et, en vérité, il emprunte ces moyens à la nature, il se sert d’elle contre elle-même ; et la ruse de sa raison fait qu’il dispose au-devant des puissances naturelles d’autres choses naturelles qu’il donne à consumer à celles-là, tandis que lui s’abrite et se conserve par derrière.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 338.
Mes exacts contemporains me font l’effet de birbes décatis, j’observe leurs visages détruits en protégeant le mien d’une éventuelle contamination sous un masque fripé que je ne retire plus et dont les plis de plus en plus marqués me prouvent que j’ai raison de prendre ces précautions : voici donc comment se flétriraient mes joues fraîches si je les exposais à ces atmosphères et contacts délétères.
Mes sourcils sont restés noirs et bien plantés. Je m’en coiffe. Raie au milieu. Ma tête d’enfant.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 79.