système

Je suis pourtant assez aimable, il me semble, quand on me rencontre, et poli. Toutefois, dès que se profile la menace d’un système d’invitations régulières et réciproques, un affolement me saisit, je ne pense plus qu’à trouver des échappatoires, et j’en trouve, ne serait-ce que dans la force d’inertie.

L’amour, oui. Le flirt, le désir, le plaisir. L’amitié, très étroite, mais très rare. Quant aux relations sociales, c’est-à-dire les amis, au sens où la plupart des gens semblent entendre ce mot, ça n’a pas d’existence pour moi.

Renaud Camus, « samedi 3 avril 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 83.

David Farreny, 2 août 2002
rien

Mais j’en reviens à l’écriture, aux écrivains et aux lecteurs. « Pourquoi écrivez-vous que vous répugnez à taper à la machine ? », demande encore Olivier de Lille, qui ajoute ceci, que je connais bien et que je trouve terrible : « Les lecteurs n’en ont rien à faire. » Qui peut se prononcer pour les lecteurs en général, et surtout sur ce point si mystérieux, ce qu’ils peuvent avoir, ou non, « à faire » de quoi que ce soit ? Le journaliste doit s’en soucier, sans doute, le militant aussi, pas l’écrivain. Si j’assume cette opinion un rien provocante, ce n’est pas en tant qu’écrivain, c’est en tant que lecteur. Barthes déplorait grandement certaine édition élaguée du journal d’Amiel, dont le préfacier se flattait d’avoir retiré, pour faire de la place, tout ce qui concernait le temps qu’il faisait : « Mais moi ça m’intéresse, justement, disait Barthes, de savoir comment était le ciel sur la campagne de Genève, dans l’après-midi du 17 avril 1857 ! »

Renaud Camus, Chroniques achriennes, P.O.L., pp. 162-163.

David Farreny, 26 mars 2005
évidence

C’est pourquoi personne ne résiste. Happés avec douceur, mais happés irrésistiblement, ils glissent vers la chaude ouverture. L’idée de résistance ne s’offre pas véritablement à eux. Ils se laissent faire, saisis par l’évidence.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 162.

David Farreny, 4 mars 2008
cèle

       Tu fus telle ; sous la terre à présent,

Squelette et poudre. Sur les os et la fange,

En vain fixé dans l’immobile,

Mirant, muet, le vol des âges,

Veille seul la mémoire

Et la douleur le simulacre

De la beauté perdue. Ce doux regard

Qui fit trembler, comme aujourd’hui, ceux sur lesquels

Il s’arrêta ; ces lèvres d’où profond

Semble, comme d’une urne pleine,

Déborder le plaisir ; ce cou naguère étreint

Par le désir ; cette amoureuse main

Qui souvent, allongée,

Sentit devenir froids les doigts qu’elle serrait,

Et le sein pour lequel

Les hommes blêmissaient aux yeux de tous,

Furent un temps : à présent fange

Et ossements — dont une pierre

Cèle la vue infâme et triste.

Giacomo Leopardi, « Sur l’effigie funéraire d’une belle dame sculptée sur son tombeau », Chants, Flammarion, p. 219.

David Farreny, 10 juin 2009
verts

Quand il n’y a pas de mouvement dans les verts, la lumière claque plus fort sur le mur blanc.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 24.

Cécile Carret, 4 mars 2010
capable

Le bonheur, c’est le style. Ou bien « le style c’est le bonheur », je ne sais plus, peu importe. De toute façon, il ne s’agit jamais que de to coin a phrase, la frapper. Je ne prétends pas qu’elle soit tout à fait vraie, mais souhaiterais seulement qu’elle solennisât un peu, au prix d’un léger abus de sens ou d’une visible approximation, toujours nécessaire à l’affûtage de formules, une vérité sans doute imparfaite, mais agissante, vérifiable : que le style, s’il n’est pas absolument suffisant à assurer le bonheur, y contribue puissamment, toutefois, ou, pour dire encore moins, qu’il atténue les coups du malheur en les transmuant en tragédie, dans l’acception pleinement cathartique du terme ; que de la mélancolie il sait faire de la poésie, et tirer du plaisir, avec de la joie, tout un art. Distance, rime, imperceptible recul, accentuation, mise en forme, en place, en abyme, en lumière, ironie détachée mais critique à l’égard des oripeaux du prétendu « naturel », il est seul capable de faire des heures une journée, de la nourriture un repas, d’une discussion un échange, d’un cliché une photographie, d’un geste un souvenir, du temps qui passe un peu de temps qui reste.

Renaud Camus, « samedi 24 octobre 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 392-393.

David Farreny, 16 nov. 2010
extra-souple

Essayer de voir comme démodée cette phrase même : « Essayer de tout voir comme démodé. »

Phrase invertébrée, lâche, extra-souple, avec son départ très moderne, très démodé, sur un infinitif qu’on pourrait nommer « suggestif », ou « invitatif », et aussi « collectif », qui n’est franchement ni un ordre, ni un souhait, ni un conseil, et qui s’adresse, infinitivement vague, à tout le monde, à personne, et reste en même temps ouvert et fermé et nous entraîne, comme les portes tournantes des hôtels et des grands magasins, — un infinitif analogue au substantif non précédé de l’article (Commutateurs) et qui se trouve chez la plupart des auteurs de ce temps.

Mais, à le considérer attentivement, c’est aussi un départ, une mise en marche, sans heurt et sans à-coup, qui ne manque pas de grâce, d’une grâce durable : départ infinitif, sans limites temporelles ni appuis personnels, nuée qui passe et se dissout dans la lumière intérieure, parole en l’air, semence errante et transportée.

Mais la phrase qui a été pensée et construite sur lui est encore incomplète : il y avait deux points, et non pas un point final, après « démodé et périmé ». Il convient à présent de la reprendre et de la terminer :

Essayer de tout voir comme démodé et périmé est d’abord une souffrance, mais ensuite un réconfort, pour l’esprit.

Valery Larbaud, « Aux couleurs de Rome », Œuvres, Gallimard, p. 1052.

David Farreny, 19 nov. 2010
mènent

Ses escaliers crèvent les plafonds ; puis j’enrage de manquer d’imagination pour deviner où ils mènent et visiter cette étoile.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
ordre

Dans la vie de veille, au contraire, dès que je me laisse aller à imaginer qu’il serait possible, après tout, de laisser tomber tout ce qui me paraît à la fois si naturel et si pesant pour aller voir ailleurs si j’y suis, ma circulation sanguine s’accélère, des bouffées de bonheur me coupent le souffle, j’étouffe presque. Puis tout se calme, tout rentre dans l’ordre. Je suis comme les chœurs de l’opéra : « Marchons, Marchons ! » ; je rêve, mais je fais du surplace.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
datées

Soutenir la thèse que toutes les valeurs de la gauche n’apparaissent encore vivantes qu’en tant qu’elles ne sont pas datées, que leur âge — dix-neuvième — n’est pas révélé. S’il l’est, alors brusquement la pensée de gauche apparaît comme ce qu’elle est, c’est-à-dire conservatrice.

Philippe Muray, « 26 juillet 1982 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 189.

David Farreny, 2 mars 2015

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