septième

Pour l’artiste que je suis, derrière la philosophie c’est toujours un philosophe qui se cache, et moi, je réduis la philosophie au philosophe.

Parce que, si les philosophes désincarnent l’art, qu’il me soit permis d’incarner à mon tour la philosophie !

Et laissez-moi encore vous dire pour la mille et unième fois ce qui est évident depuis des siècles : que le philosophe sera toujours ridicule !

Et bête ! mais d’un bête ! Car enfin, la bêtise n’est rien d’autre que la sœur jumelle de l’intelligence et s’épanouit en florissant non pas sur le terreau vierge de l’ignorance, mais bien sur la glèbe féconde arrosée de la septième sueur des penseurs et des sages…

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 398-399.

David Farreny, 24 mars 2002
museau

Quelques arbres, de la rivière, des barques, une certaine France de la mesure, des petites paresses, nonchalance et maupassaneries. On dirait que l’on caresse le museau d’un veau.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 149.

David Farreny, 5 janv. 2006
auscultation

La maison ? Lumière avare, vacillante. Couleurs mortes. Ombres vertes. Sur toute surface, toujours une mouche en auscultation. Troupeaux de chaises de multiples espèces, du formica au Renaissance. Abondance d’objets, rares ou banals, sur grande variété de meubles. Leurs corps aveugles embarrassent les déplacements. Livres, vieux journaux enrobés de poussière, paquets de photographies, boîtes et pots, médicaments. Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 48.

David Farreny, 2 déc. 2009
raté

Trouvé sous la porte de l’atelier un coin de papier journal griffonné avec un prénom presque illisible, mais qui n’était pas le mien et un nom qui, à une lettre près, me désignait. Écriture troublante de mage ou d’analphabète. Est-ce que j’aurais raté une annonciation ?

Gérard Pesson, « lundi 22 janvier 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 223.

David Farreny, 27 mars 2010
claquements

À force de rester ainsi couché, en pleine après-midi, il était bien naturel que je prenne, comme on disait, de « mauvaises habitudes » par lesquelles je tentais de me distraire de mon ennui. Je me figurais en missionnaire torturé, sauvé au dernier moment. Ma mère, bien sûr, me surprit, puisque toute l’éducation de son temps ne rendait les gens attentifs qu’à cela seul. Ils en étaient devenus experts, de fins limiers à qui rien n’échappait de ce qui, de près ou de loin, pouvait avoir l’air d’être de l’onanisme, au point d’en tomber dans une sorte de folie de l’espionnage qui a affolé des générations entières d’enfants et a probablement largement contribué à faire de l’Europe un continent de malades mentaux. Et ce fut un nouveau drame : course folle dans l’escalier, grands cris, claquements de portes, conciliabules, nouveaux claquements de portes, silence.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 97.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
merles

La mort est claire dans le ruisseau

et sauvage dans la lune

et claire

comme le soir venu l’étoile frémit

étrangère devant ma porte

la mort est claire

comme le miel en août

aussi claire est cette mort

et elle m’est fidèle

quand arrive l’hiver

oh Seigneur

envoie-moi une mort

que j’aie froid

et que la langue me vienne dans la mer

et près du feu

Seigneur

La mort dans la nuit attaque le tronc d’arbre

et le sommeil de quelques merles

dans les obscurités.

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, La Différence, p. 63.

David Farreny, 26 juin 2012
étirement

Je sais aussi de longs soirs d’été, haïssables. Une fatigue, un ennui, le sentiment d’être si différent des autres émanent pour moi de leur clarté. En ville, ces instants sont insoutenables. Je ferme les yeux et les vagues viennent mourir à mes pieds. À quoi bon les illusions ? Les réverbères ne s’allument plus. C’est le règne de l’indiscrétion. Cet étirement des jours vous met face à votre médiocrité. Il dit : «  Alors, toutes ces promesses que tu n’as pas tenues ? Tu prétends au bonheur, mais ne sais l’obtenir. Il est si proche de toi, pourtant, à portée de ta main. Mais tu es faible, et lâche, et négligent. La vraie vie ne sera jamais pour toi.  »

Bernard Delvaille, « Feuillets », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 14.

David Farreny, 15 août 2012
insulte

Comme un vieux récipient fêlé, mon cœur ne peut plus contenir les effervescentes douleurs dont il continue à être agité, ni les bouillantes passions. Et je crains qu’il ne finisse par se briser. Je ne me sens plus jeune. Je le dis depuis si longtemps ! Et je ne parviens pas à comprendre pour quelle raison l’amour a laissé passé sa saison sans me sourire, tandis que l’amitié, bien suprême, s’éloigne de moi, qui en ai trop abusé. Et survient un nouvel âge. Celui où la mémoire de l’homme est encombrée de trop de souvenirs non ensevelis et où son cœur, opprimé et couvert de cicatrices, ne se nourrit plus que de révoltes fébriles. En attendant, la vie a cessé d’être une cohorte joyeuse, la mort impitoyable ne nous sourit plus, de loin, comme un jour de gloire, mais elle s’avance et se donne pour ce qu’elle est vraiment : l’insulte suprême.

Vincenzo Cardarelli, « Congé », Memorie della mia infanzia, Mondadori.

David Farreny, 18 janv. 2013
œuvres

Mais nous ne pouvons ici-bas espérer de rien parachever, et bienheureux l’homme chez qui la volonté ne passe point tout entière dans le douloureux effort. Nulle maison n’est bâtie, nul plan n’est tracé, où la perte future ne soit la pierre de base, et ce n’est point dans nos œuvres que vit la part impérissable de nous-mêmes.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 164.

Cécile Carret, 27 août 2013

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