géant

On a récemment démontré l’existence d’un centre de croissance dans le système nerveux.

On pourrait l’affoler. On pourra l’affoler.

Géant par nervosité. Nain par indifférence.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 287.

David Farreny, 13 avr. 2002
pléonasme

Il y eut dix Aristote : le premier est notre philosophe ; le second gouverna à Athènes, et on lui attribue d’agréables discours judiciaires ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un orateur siciliote qui fit un écrit contre le Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythos, était un ami d’Eschine, le disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et fit un art poétique ; le septième était pédotribe, et Aristoxène fait mention de lui dans sa Vie de Platon ; le huitième fut un obscur grammairien qui fit un traité sur le pléonasme.

Diogène Laërce, « Aristote », Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (1), Flammarion, p. 240.

David Farreny, 11 août 2005
botanique

Je reviens moi-même du midi où j’ai laissé Jacqueline et François V.R. achever août et l’été sur sa chute. Nous avons passé là des jours simplement heureux, confortant nos idées, prolongeant notre inquiétude tard dans les nuits qu’on aime tant qu’on se relève pour en presser les odeurs, les chants, les douceurs, la botanique.

Dominique de Roux, « lettre à Robert Vallery-Radot (28 août 1966) », Il faut partir, Fayard, p. 223.

David Farreny, 21 août 2008
destructibles

La contradiction c’est que le monde est perpétuellement nécessaire comme obstacle à anéantir. Le violent est donc de mauvaise foi parce que, si loin qu’il pousse les destructions, il compte sur la richesse du monde pour les supporter et fournir perpétuellement de nouveaux destructibles.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 183.

David Farreny, 3 déc. 2008
bonheur

Ce qu’il y a d’admirable dans le bonheur des autres, c’est qu’on y croit.

Marcel Proust, « lettre à Antoine Bibesco », Correspondance.

David Farreny, 25 mai 2009
cèle

       Tu fus telle ; sous la terre à présent,

Squelette et poudre. Sur les os et la fange,

En vain fixé dans l’immobile,

Mirant, muet, le vol des âges,

Veille seul la mémoire

Et la douleur le simulacre

De la beauté perdue. Ce doux regard

Qui fit trembler, comme aujourd’hui, ceux sur lesquels

Il s’arrêta ; ces lèvres d’où profond

Semble, comme d’une urne pleine,

Déborder le plaisir ; ce cou naguère étreint

Par le désir ; cette amoureuse main

Qui souvent, allongée,

Sentit devenir froids les doigts qu’elle serrait,

Et le sein pour lequel

Les hommes blêmissaient aux yeux de tous,

Furent un temps : à présent fange

Et ossements — dont une pierre

Cèle la vue infâme et triste.

Giacomo Leopardi, « Sur l’effigie funéraire d’une belle dame sculptée sur son tombeau », Chants, Flammarion, p. 219.

David Farreny, 10 juin 2009
inversé

D’abord, la paix souveraine répandue sur les rives, la contemplation jamais lasse des jeux de lumière et des anamorphoses que l’eau compose inépuisablement, la stupeur bienheureuse qu’elle provoquait, à la fin. Chaque fois, lorsque venait le soir, je me suis demandé pourquoi rentrer. Il me semblait avoir cessé d’exister. J’étais lavé de l’existence plus ou moins distincte qui, partout ailleurs, m’incombait, de la fatigue, de l’ennui de la soutenir, du dépit d’y trouver à redire et de n’en pouvoir mais. Je suppose que les hommes qui se sont tenus près de moi, au droit de leur reflet inversé, demandaient eux aussi à la rivière d’emporter ce que la leur avait de contraint et d’amer, d’inexpliqué. À ce moment-là, ils étaient autres, sans l’acrimonie, les aspérités qui ont compliqué la mienne.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 11.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
rétifs

Alors que les pigeons, parfois, se montrent absurdement rétifs quand Gregor les recueille de tout son cœur, se rebiffant bec et ongles au point de le blesser, alors qu’ils se débattent comme une vieille dame qu’on veut aider à traverser la rue quand elle ne vous a rien demandé, il n’a aucune peine à s’emparer de celui-ci.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 153.

Cécile Carret, 17 oct. 2010
bougé

En fait, le lendemain, c’était comme de repartir. Je veux dire, du début. Avec, tout de même, cette conscience que j’avais bougé. Nettement.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
malaise

Il suffisait de refuser poliment. Au lieu de quoi j’ai montré mon hésitation, dans laquelle l’homme s’est engouffré. Allez, allez, a-t-il dit. J’ai commencé à comprendre que, lorsqu’il n’étouffait plus, il devenait jovial. J’entends qu’il avait un fond jovial. La femme, elle, avait l’air toujours triste, si bien qu’entre les deux je n’aurais pas su dire ce qui me semblait le pire, de la jovialité ou de la tristesse, sauf qu’en l’occurrence il ne s’agissait pas de choisir, il s’agissait de jovialité et de tristesse, l’une s’inscrivant en contraste avec l’autre, accusant l’autre, la rendant insupportable, sans parler du mélange des deux, évidemment, qui produisait de son côté un effet de malaise, incapable que se trouvait leur interlocuteur de savoir s’il devait s’apitoyer ou sourire, sachant que par ailleurs la jovialité n’a jamais fait, à ma connaissance, sourire personne.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 33.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
étirement

Je sais aussi de longs soirs d’été, haïssables. Une fatigue, un ennui, le sentiment d’être si différent des autres émanent pour moi de leur clarté. En ville, ces instants sont insoutenables. Je ferme les yeux et les vagues viennent mourir à mes pieds. À quoi bon les illusions ? Les réverbères ne s’allument plus. C’est le règne de l’indiscrétion. Cet étirement des jours vous met face à votre médiocrité. Il dit : «  Alors, toutes ces promesses que tu n’as pas tenues ? Tu prétends au bonheur, mais ne sais l’obtenir. Il est si proche de toi, pourtant, à portée de ta main. Mais tu es faible, et lâche, et négligent. La vraie vie ne sera jamais pour toi.  »

Bernard Delvaille, « Feuillets », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 14.

David Farreny, 15 août 2012
ennui

Un philosophe d’occasion, un esthète épuisé, un frondeur abattu, une marquise cafardeuse, un aventurier sans cause, un métaphysicien insomniaque, un nihiliste apocalyptique, un réactionnaire à vif, un anarchiste sentimental, un adepte du suicide non pratiquant, les figures que j’évoque ici forment une aristocratie transhistorique de l’ennui – montrant par là l’éternité de la maladie du temps. D’un scepticisme à la fois féroce et poli, ils démystifient les doctrines qui prônent un illusoire art de vivre. Ils rappellent que la vie n’a rien d’un art mais d’une douleur continue interrompue par quelques moments de rémission, que nous ne choisissons pas de naître puis de vivre comme nous vivons ou comme nous souhaiterions vivre, que nous n’avons pas la moindre emprise sur nos passions, que nous ne changeons pas mais que nous aggravons notre cas.

Frédéric Schiffter, « préface », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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