prémonition

Qu’est-ce que le passé, sinon une intense prémonition de l’inévitable ?

Geoff Dyer, La couleur du souvenir, Joëlle Losfeld, p. 207.

David Farreny, 23 mars 2002
devions

Mais les autres après nous, ceux qui ne savaient pas, ceux qui n’existaient pas encore, ceux-là sans doute nous verraient (si elle voulait bien) tels que, d’une certaine façon, nous étions, nous devions être, l’un près de l’autre, comme si avant même que nous sachions, que nous soyons, il avait été dit quelque part, écrit, que nous serions ensemble, rien que cela.

La micheline est sortie du silence. J’ai regardé le visage jusqu’à ce qu’elle m’emporte parce que je savais bien que, lorsqu’il aurait disparu, ce serait encore comme s’il n’avait pas vraiment existé.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 144.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
discord

Comme une cloche sonnant un malheur, une note, une note n’écoutant qu’elle-même, une note à travers tout, une note basse comme un coup de pied dans le ventre, une note âgée, une note comme une minute qui aurait à percer un siècle, une note tenue à travers le discord des voix, une note comme un avertissement de mort, une note, cette heure durant

m’avertit.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 334.

David Farreny, 3 mars 2008
euh

De temps à autre, l’un ou l’autre de nos camarades s’évapore de la sorte ; alors, enfonçant la tête entre les épaules, nous disons : — Euh… (que peut-on dire d’autre) ; et une légère consternation flotte dans l’air. Pourtant, dans notre belle majorité, nous tous, employés, sommes déjà en train de mourir. Nous qui avons passé la quarantaine, chaque année plus vieux d’une année. Au cimetière, […] chacun de nous se supportait lui-même tel un sac rempli de décès.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 89.

David Farreny, 4 mars 2008
parler

Ça me paraît plus long cette fois, nous dit-il. C’est parce que c’est plus court, lui répondis-je, content finalement d’avoir à lui adresser la parole, ça passe moins vite. Et puis, ajoutai-je, c’est peut-être pace qu’on ne dit rien, mais on n’est pas obligé de parler tout le temps, non ? Non, fit Kontcharski, évidemment, c’est juste qu’on se connaît encore trop peu, sans doute, pour se taire tout à fait, nous n’avons pas encore trouvé le bon régime, voilà. Mais si, intervint Marc, on l’a, le bon régime, on ne va pas faire un voyage sans fausse note, non plus, ça voudrait dire quoi ? Je suis d’accord, dis-je. À propos, ajoutai-je, est-ce que quelqu’un veut conduire ?

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 80.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
tribunal

Je ne sais plus ce que c’est que le temps libre ni la paix. Toujours une grande voix sévère me rappelle combien je suis ignorant et que je vais mourir, qu’il ferait beau voir que je sois un instant sans chercher à comprendre ce qui s’est passé avant que tout finisse. Le tribunal siège en permanence.

Pierre Bergounioux, « lundi 28 janvier 1985 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 372.

Élisabeth Mazeron, 12 nov. 2008
effarvatte

5 heures de l’après-midi, la digitale pourprée : crescendo trillé du phragmite des joncs, rythmes puissants, acidulés et grincés, de la rousserolle turdoïde. Coassement sec et flasque d’une grenouille. La mouette rieuse part en chasse. Les nénuphars. Concert en duo de deux rousserolles effarvattes.

6 heures du soir, les iris jaunes et la locustelle tachetée. Une foulque (noire, plaque frontale blanche) semble choquer des pierres et souffler dans une petite trompette pointue. L’alouette des champs s’élève et jubile en plein ciel, les grenouilles lui répondent dans l’étang. Un râle d’eau, invisible, pousse une série de cris effroyables — cris de pourceau qu’on égorge — en hurlement décroissant, diminuendo.

9 heures du soir : coucher de soleil, rouge, orangé, violet, sur l’étang des iris. Le héron butor mugit — son de trompe grave, un peu terrifiant. Le soleil est un disque de sang : l’étang le répète — le soleil rejoint son reflet et s’enfonce dans l’eau. Le ciel est violet sombre.

Minuit : la nuit est installée, toujours solennelle comme une résonance de tam-tam. Le rossignol commence ses strophes mystérieuses ou mordantes. Une grenouille agite des ossements.

3 heures du matin : de nouveau, un grand solo de rousserolle effarvatte. Et nous terminons sur un rappel de la musique des étangs, avec le dernier mugissement du héron butor…

Olivier Messiaen, « Livre IV, VII. La rousserolle effarvatte », Catalogue d’oiseaux.

David Farreny, 12 oct. 2011
il

Aujourd’hui, il sort de la forêt de bon matin, un blaireau sur l’épaule. Il descend vers Rouen. Dans la rue, les gens se retournent sur lui : c’est un colosse, un géant. Sous sa tignasse gris-jaune, sourit une tête d’enfant à la peau bien lisse. Ses jambes sont longues et minces, il a des fesses de danseuse et le torse court, étroit et incroyablement épais. Le plus étrange chez lui, ce sont ses mains, qui au bout de jambons démesurés sont d’une telle finesse qu’elles semblent conçues pour de la dentelle. Il avance en chaloupant, et il pue.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 25.

Cécile Carret, 9 mars 2012
concentré

Oui, c’était avec cette lenteur, cette réflexion, ce silence, en ne se laissant troubler par aucune société, totalement concentré sur moi seul, sans conseils, sans louanges, sans attente, sans revendication, sans arrière-pensée aucune que je voulais plus tard exercer mon travail. Quel qu’il fût, il devait correspondre à l’activité que j’avais ici sous les yeux et qui si manifestement ennoblissait celui qui l’exécutait en même temps que son témoin de hasard.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 45.

Cécile Carret, 4 août 2013
mécano

Le réel, le monde tangible. Le décor pratique, celui qui fait la toile de fond de notre présence au monde.

Celui que les enfants ne gouvernent pas et que leur organisent les adultes ; leur frénésie de tuteurs affairés et pressés, souvent irascibles au moment des transitions vers d’autres univers. Leur mécano du quotidien, qui a souvent pour public la distraction des petits.

La noria des gestes refaits chaque jour.

Les gestes opiniâtres et répétitifs, le corset de nos jours. La Maison. L’école.

Et puis le reste, ce qui ne se voit pas dans le décor. Les pensées, les envies, les rêves, les cauchemars, les détestations : la lune.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 99.

Cécile Carret, 25 sept. 2013
habitacle

L’habitacle roule vers le Nord, les amples et veloutés nuages dont la frange supérieure réalise la lumière roulent vers le Sud. Par mon seul regard souverain qui ne peut rien posséder mais qui peut tout recevoir, je jouis de la douceur solide de l’habitacle et de la légèreté lumineuse des nuages. Ces deux couvertures me protègent de tout excès de dépense pendant que je traverse les nobles provinces.

Jean-Pierre Vidal, « Quelques heures de silence », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 109.

David Farreny, 30 juin 2014
spectateur

Le pessimiste est un spectateur. L’optimiste, un spectacle.

Jaime Fernández.

David Farreny, 26 fév. 2024

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