laissera

On part après-demain matin. On m’a cassé la dent qui me sinusitait. La moitié est restée dans la mâchoire, et comme on n’a pas de chien, c’est elle qui restera vigilante la nuit, et le jour elle m’empêchera de me laisser aller. Participation avec la nature, admiration coulante, n’y comptons pas. Elle ne laissera passer que le très bon, le solide. Il en sera de même, d’ailleurs, pour les ennuis et les dangers.

Tout de même, il faut que je puisse la tenir en échec.

Elle est forte de sa poche à pus.

Bien, mais j’emporte un bistouri, moi.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 206.

David Farreny, 22 mars 2002
ensemble

Les Ématrus sont lichinés ou bien ils sont bohanés. C’est l’un ou l’autre. Ils cousent les rats qu’ils prennent avec des arzettes, et sans les tuer, les relâchent ainsi cousus, voués aux mouvements d’ensemble, à la misère, et à la faim qui en résulte.

Les Ématrus s’enivrent avec de la clouille. Mais d’abord ils se terrent dans un tonneau ou dans un fossé, où ils sont trois et quatre jours avant de reprendre connaissance.

Naturellement imbéciles, amateurs de grosses plaisanteries, ils finissent parfaits narcindons.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 42.

David Farreny, 13 avr. 2002
mangent

Vivre reste une affaire dont les moyens mangent la fin.

Pierre Bergounioux, « Vie domestique », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 45.

David Farreny, 24 mai 2002
ennuyer

Il m’ennuyait et ne se faisait pas d’illusion à ce sujet ; exhalant tout le fatalisme d’un homme qui ne peut pas ne pas ennuyer, il se tenait au pied du mur et tout cela était stérile au possible, vain. Il insistait : « Rappelle-toi », mais je savais qu’il insistait par ennui, ce qui m’ennuyait.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 69.

David Farreny, 15 fév. 2004
affirmation

Point d’affirmation que ne puisse annuler une affirmation contraire. Pour émettre la moindre opinion sur quoi que ce soit, un acte de bravoure et une certaine capacité d’irréflexion sont nécessaires, ainsi qu’une propension à se laisser emporter par des raisons extra-rationnelles.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 72.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
tourbe

C’est sur un fond incertain, fallacieux, comme la tourbe au creux des combes, que s’avance la réalité quand, d’aventure, elle consent à se manifester et l’on tremble qu’elle ne nous quitte. On ne connaît pas vraiment la paix.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
dehors

La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.

David Farreny, 3 mars 2009
évite

L’amour est une invention des histoires d’amour. Un personnage des contes, comme les sorcières et les dragons. Tout ça est infantile. L’idée de s’aimer à travers un autre me répugne. J’évite.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 230.

David Farreny, 2 déc. 2009
scandales

La morale elle-même engendre la Terreur quand, dépeuplant l’univers de tout ce qui n’est pas l’Autre et son ennemi, elle ne rencontre jamais de problèmes ou de dilemmes mais seulement des scandales. « Je ne sais point discuter longuement où je suis convaincu que c’est un scandale de délibérer », disait encore Robespierre dans son discours sur le parti à prendre à l’égard du roi.

Alain Finkielkraut, « La gauche de gauche et les virgules noires », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 238.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
scissiparité

Quand je repense à cette dizaine de mois pendant lesquels j’ai correspondu avec vous, moi qui ne vivais plus depuis près de dix ans, cette expression s’est imposée grâce à vous, j’ai eu accès à une forme de vie.

Ces mots évoquent en principe l’existence élémentaire des amibes et des protozoaires. Pour la plupart des gens, il n’y a là qu’un grouillement un peu dégoûtant. Pour moi qui ai connu le néant, c’est déjà de la vie et cela m’impose le respect. J’ai aimé cette forme de vie et j’en ai la nostalgie. L’échange des lettres fonctionnait comme une scissiparité : je vous envoyais une infime particule d’existence, votre lecture la doublait, votre réponse la multipliait, et ainsi de suite. Grâce à vous, mon néant se peuplait d’un petit bouillon de culture. Je marinais dans un jus de mots partagés. Il y a une jouissance que rien n’égale : l’illusion d’avoir du sens. Que cette signification naisse du mensonge n’enlève rien à cette volupté.

Amélie Nothomb, Une forme de vie, Albin Michel, pp. 156-157.

Élisabeth Mazeron, 27 sept. 2010

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