cortex

Je vois mon cortex.

Georges Perec, « Rêve n° 64 : l’os », La boutique obscure, Denoël.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
triviale

J’ai entrepris de rédiger ce Journal tout simplement comme expédient, moyen de sauvetage, de peur de déchoir et de sombrer définitivement dans les flots de la vie triviale qui déjà m’arrivent jusqu’aux lèvres. Mais il apparaît que même sur ce terrain je ne suis plus capable d’un effort complet. Oui, on ne saurait être un zéro, un néant toute la semaine et se mettre à exister soudain le dimanche.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 85.

David Farreny, 24 mars 2002
recommandation

Et moi faut-il que je m’obstine, en tâcheron consciencieux du désastre, à relever encore mot à mot ce néant ? Il n’a d’autre recommandation à la phrase que d’être la vérité.

Renaud Camus, « jeudi 27 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 359.

David Farreny, 29 fév. 2004
maquignonnons

Tout est prétexte à sortilèges, les possédés tournent sur eux-mêmes l’écume aux lèvres en ronflant comme des toupies, toutes nos nuits sont traversées par le son des tambours et chacun consacre un peu d’énergie ou d’argent à se prémunir contre les manigances réelles ou supposées de ses voisins. L’honnêteté oblige cependant à reconnaître qu’à force de mitonner dans le chaudron de ma ville, nos démons ont eux aussi un peu fondu. Ils participent à l’enflure, au laisser-aller, à la léthargie générale et l’aubergiste qui est un homme avisé m’assure qu’ils sont en outre d’intarissables bavards. De leur côté, nos exorcistes ne brillent pas par leur vertu. Ce sont des fainéants assurés de leur bol de riz et qui n’observent aucune des abstinences qui les rendraient vraiment efficaces. De part et d’autre, le tranchant s’est émoussé. Nous maquignonnons avec nos ombres, nous ergotons avec nos fantômes et la plupart du temps on s’arrange à l’amiable.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 74-75.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
intelligence

Or il était nu, parfaitement nu. Physique ramassé, muscles pâles et veinés. Je ne suis pas là, je ne suis pas là, détala au milieu de la pièce, quêta une issue. S’habiller. Penderie. Que mettre ? Il chaussa des baskets, agressa son pantalon d’hier, y plongea un pied qui resta bloqué dans le bas, s’en extirpa, enfila une sortie de bain à motifs delphinidés au dos de quoi était écrit LUI.

À la sonnette, succédèrent des coups de poing, de pied, d’épaule, des efforts sourds, pesants, sans intelligence, qui enfoncèrent, paniquèrent les secondes. Lui, négocia le choix d’un caleçon pas trop voyant, tout en reculant dans la pièce. […]

Et sa main se tendait vers l’entrée sans se décider. La serrure céda. Il esquissa un geste pour se recoucher, faire semblant de dormir, c’était une attitude. Finalement, il resta debout. C’était une attitude. Debout, comme venant de la salle d’eau, penché, un pied jeté vers l’avant.

— Oui, oui, j’arrive, une seconde.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 55.

Cécile Carret, 9 déc. 2009
bidule

L’excès de sérieux de ce bidule, sa constance, son obstination cessa soudain de les intimider. S’ensuivit une phase de familiarisation durant laquelle ils lui firent prendre des formes. Docile, elle couvrit l’abat-jour, pendouilla à l’espagnolette, aux patères, s’enroula dans la plante verte, occupant chaque fois la place avec un confort immédiat, puis s’affalant, k. Ils se l’envoyèrent d’un bout de la pièce à l’autre, tentant d’un coup de poignet rétro de la faire revenir, façon boomerang, qu’elle refusa d’ailleurs d’imiter, et, incapable de virer, elle alla s’écraser contre le mur sans rebondir, glissa pour s’avachir au sol et s’aplatir aussitôt, comme une crêpe butée, une crêpe qui aurait désiré rester crêpe contre vents et marées, k.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 112.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
tout

Que rien ne te trouble

Que rien ne t’épouvante

Tout passe

Sainte Thérèse d'Avila.

David Farreny, 22 mars 2010
enclos

Ce jour-là, dit-il, ne fut pas un jour très différent des autres jours. Depuis quelque temps, Ophélie avait découvert que son cœur l’avait quittée. Elle s’en était aperçue certaine nuit où, cherchant à s’endormir et ne pouvant trouver le sommeil, elle avait glissé sa main sous ses seins et avaient senti, en ces doux parages de chair, la place d’un grand vide où plus rien ne battait. Le précipité d’un désert. Un enclos d’absence, d’immobilité, de nullité d’être… Elle serrait sa main contre sa poitrine — et sa poitrine ne répondait pas. Elle fixait son écoute sur le point précis où, d’ordinaire, le martèlement du cœur se laissait entendre — mais aucune pulsation ne lui parvenait ni même une rumeur. Avec angoisse elle pressait ses mains sur ses côtés et les laissait ensuite doucement se détendre, absolument comme on voudrait s’emparer de quelque chose d’infiniment précieux et le retenir — et l’on s’aperçoit alors dans le retrait qu’il n’y a rien, qu’il n’y a plus rien, qu’il n’y a jamais rien eu. Et l’on recommence aussitôt — le même geste de saisie et de remise — car une telle évidence est proprement insupportable.

Claude Louis-Combet, « La raison d’Ophélie », Rapt et ravissement, Deyrolle, pp. 46-47.

Élisabeth Mazeron, 26 mars 2010
déplacement

J’ai couvert une dizaine de longueurs, que j’ai comptées, et, dès la septième, j’avais retrouvé cette sensation d’ennui caractéristique de la nage dans un espace fermé, identique, j’imagine, à celle que font naître toutes les activités qui miment le déplacement, comme le vélo d’appartement, et où la conscience aiguë d’être privé de destination se combine avec celle, plus souterraine, que le temps n’y changera rien et que par conséquent, même quand il sera écoulé, selon la limite qu’on se sera fixée, on ne sera toujours arrivé nulle part.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 121.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
coquetterie

La Révolution fut provoquée par les abus d’une classe revenue de tout, même de ses privilèges, auxquels elle s’agrippait par automatisme, sans passion ni acharnement, car elle avait un faible ostensible pour les idées de ceux qui allaient l’anéantir. La complaisance pour l’adversaire est le signe distinctif de la débilité, c’est-à-dire de la tolérance, laquelle n’est, en dernier ressort, qu’une coquetterie d’agonisants.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 917.

David Farreny, 1er mars 2024

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