bistrot

L’homme qui se respecte quitte la vie quand il veut ; les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu’on les mette à la porte.

Ladislav Klima.

David Farreny, 28 mars 2002
appuyais

Ainsi, à l’insuffisante clarté d’une lampe d’un modèle ancien, découpant un grêle cône de lumière au sein d’une masse d’ombre de plus en plus compacte au fur et à mesure que l’heure tourne, ainsi m’appuyais-je la lecture de l’œuvre inachevée du général Bonnal : trois volumes in-quarto publiés à la veille de la Première Guerre mondiale et consacrés à La Vie militaire du maréchal Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskova.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 14.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
exprès

Mais voilà. On a un peu l’impression que les hommes le font exprès. Font exprès, et depuis des siècles, d’être malheureux — ou le contraire — pour des raisons qui ne tiennent pas. Et que c’est tant mieux si elles ne tiennent pas. Un peu l’impression qu’ils s’emmènent en bateau parce que, tout compte fait, le jeu ne vaut pas la chandelle. Quel compte, quel jeu, quelle chandelle, c’est ce qu’ils ne disent pas ; qu’ils reculent devant l’évidence de la devinette, pour mieux passer le temps.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, pp. 242-243.

David Farreny, 4 mars 2008
veille

L’atmosphère ressemblait à une haleine, pour un peu on aurait cru voir le crépuscule, dans la même lumière inchangée depuis toujours ; ce fut la tombée de la nuit sur le rivage sans terre et les reflets sans provenance. La nuit bord à bord avec le niveau de la mer. Car tout cela finit par s’imposer sans être jamais prouvé ; le phénomène se déroule et personne ne consacre des heures de veille à l’étudier, ce qui serait bien vain — mais l’espérance d’un résultat précis, d’une preuve rongée et dissoute déjà…

François Rosset, L’archipel, Michalon, pp. 46-47.

David Farreny, 12 mars 2008
dialogue

Lorsque deux sujets se disputent selon un échange réglé de répliques et en vue d’avoir le «  dernier mot  », ces deux sujets sont déjà mariés : la scène est pour eux l’exercice d’un droit, la pratique d’un langage dont ils sont copropriétaires ; chacun son tour, dit la scène, ce qui veut dire : jamais toi sans moi, et réciproquement. Tel est le sens de ce qu’on appelle euphémiquement le dialogue : ne pas s’écouter l’un l’autre, mais s’asservir en commun à un principe égalitaire de répartition des biens de parole. Les partenaires savent que l’affrontement auquel ils se livrent et qui ne les séparera pas est aussi inconséquent qu’une jouissance perverse (la scène serait une manière de se donner plaisir sans le risque de faire des enfants).

Roland Barthes, « Faire une scène », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 243.

Élisabeth Mazeron, 25 janv. 2010
destin

Reste à savoir si nous ne devrions pas être décimés un peu plus souvent peut-être, étant donné que sans cela, l’air dont nous avons besoin pour respirer pourrait bien venir à manquer. Les rangs de nos pères étaient éclaircis à intervalles réguliers. Après un de leurs orages guerriers purificateurs, seuls quelques-uns relevaient la tête. Ceux-ci mettaient de l’ordre dans les affaires restées en suspens, rangeaient, et fécondaient les femmes qui restaient. Celui qui savait tenir un stylo à peu près droit devenait écrivain et professeur d’écriture, celui qui savait tenir un pinceau devenait peintre et professeur de peinture, celui qui savait tenir de la farine devenait boulanger et professeur de boulangerie, celui qui était cultivé devenait cultivateur et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les vides soient comblés et que ces gentils humains provisoires soient relayés par leurs descendants. Puis il y avait à nouveau une épidémie ou une bataille qui faisait de la place. De nos jours, les gens doivent se livrer à une lutte impitoyable pour avoir une place au soleil et, de ce fait, gagner aussi parfois leur vie avec les idées les plus insolites, par exemple en exigeant davantage de destin.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 202-203.

David Farreny, 11 mars 2010
polyvalent

Aujourd’hui l’artiste polyvalent se charge aussi bien de l’œuvre que de son commentaire… Mais me direz-vous la décence ? Eh oui, la décence…

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 91.

David Farreny, 27 juin 2010
disproportion

Pour notre consolation, la disproportion du monde semble n’être que d’ordre numérique.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 453.

David Farreny, 8 nov. 2012
rêve

Quand un homme rêve seul, c’est un rêve. Quand ils sont plusieurs à rêver le même rêve, c’est un cauchemar.

Philippe Muray, « 26 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 257.

David Farreny, 27 mai 2015
impression

C’est le seul moyen de fuir la société tout en faisant bonne impression, aussi je ne la laisse à personne : la vaisselle.

Éric Chevillard, « mercredi 2 mars 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 3 mars 2016
portée

Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n’est malheureusement à la portée de personne.

Emil Cioran, « De l'inconvénient d'être né », Œuvres, Gallimard, p. 898.

David Farreny, 1er mars 2024
lâches

Tout acte de courage est le fait d’un déséquilibré. Les bêtes, normales par définition, sont toujours lâches, sauf quand elles se savent plus fortes, ce qui est la lâcheté même.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 955.

David Farreny, 7 mars 2024
démonétisée

Je n’ai rien à faire, serre quelques mains, bavarde avec des libraires, des journalistes, des auteurs. Je les regarde, ces auteurs : fatigués, ringards, pitoyables, attendant le chaland sous les projecteurs qui les enlaidissent : Anne Wiazemski qui se décatit de salon en salon ; Marie Nimier dont le profil se rapproche de l’oiseau de proie et chez qui rien n’est laid sans que cependant l’ensemble soit beau ; Jocelyne François qui ne me reconnaît pas ou ne le veut ; Jean-Christophe Rufin qui, lui, me rappelle que nous nous sommes vus à Beyrouth, l’an dernier, et qui me dit : « J’ai dépassé les 80 000 exemplaires ; et toi ? » ; Lacouture, « régional de l’étape » qui cligne des yeux et grimace comme un vieil ecclésiastique surpris à la sortie d’un bordel ; Dominique Fernandez qui semble épuisé d’être lui-même et pose une main fripée de vieille femme sur l’épaule de son giton, et tant d’autres dont la vue me désole, tâcherons des lettres, commis, clercs, mitrons, courtisans, sycophantes, ilotes d’une renommée impossible et d’une gloire hors d’atteinte, sans doute démonétisée…

Richard Millet, « 10 octobre 1998 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024

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