matou

profond comme le fer de bêche et large comme un vicomté de matou

sans limite par le haut seulement où la lune roule et parfois fend

lieu connu inconnu où courir où se lover un continent un trou

Michel Besnier, tiré à part, Folle Avoine, p. 1.

David Farreny, 22 mars 2002
Möbius

En tout cela, les êtres de notre temps ne font que voyager sur une interminable bande de Möbius libertaire-répressive, dépourvue d’envers et d’endroit, et dont ils ne voient pas qu’ils arpentent la totalité tortueuse sans jamais changer de face.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 509.

David Farreny, 22 mars 2002
bonjour

Tout noter avec la conscience des sens, plutôt qu’avec les sens eux-mêmes… La possibilité de choses différentes… Et soudain résonne, dans le bureau derrière moi, l’arrivée abruptement métaphysique du coursier. Je me sens capable de le tuer, pour avoir ainsi interrompu le fil de pensées que je n’avais pas. Je le regarde, en me retournant, dans un silence lourd de haine, j’écoute à l’avance, dans une tension d’homicide latent, la voix qu’il aura pour me dire une banalité. Il me sourit du fond de la pièce, et me dit bonjour à haute voix. Je le hais comme l’univers entier. J’ai les yeux lourds, à force de supposer.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 165.

Guillaume Colnot, 18 juil. 2003
déborde

Tout va très vite. Nous ne pouvons compter ni sur les choses, ni sur les paysages, ni même sur nos attentes et nos pensées. Nous ne goûterons pas la douceur des permanences, la quiétude qui sourd de ce qui déborde et conforte notre brève saison. À peine commençait-on à se familiariser avec le visage du monde qu’il s’altère et s’évanouit. Un autre le remplace qui ne lui ressemble pas et dont on pressent, déjà, l’abolition prochaine.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 15.

David Farreny, 17 oct. 2006
tirer

J’ai un tas d’idées pour mon travail et en continuant la figure très assidûment, je trouverai possiblement du neuf.

Mais que veux-tu, parfois, je me sens trop faible contre les circonstances données, et il faudrait être et plus sage et plus riche et plus jeune pour vaincre.

Heureusement pour moi, je ne tiens plus aucunement à une victoire, et dans la peinture, je ne cherche que le moyen de me tirer de la vie.

Vincent van Gogh, « Arles, août 1888 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 400.

David Farreny, 2 juil. 2009
humanité

Je ne peux plus supporter l’humanité. Je ne peux plus supporter l’humanité ! C’est embêtant, parce qu’il y en a vraiment beaucoup.

Renaud Camus, « lundi 20 août 2007 », Une chance pour le temps. Journal 2007, Fayard, p. 318.

David Farreny, 15 janv. 2010
nuance

Fait et défait les scénarios de la vie future. Quelle nuance y a-t-il entre la patience et la réussite ?

Gérard Pesson, « mercredi 20 octobre 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 118.

David Farreny, 22 mars 2010
constructions

Car ma perception du quartier a changé depuis que je vis dehors. Jouer un personnage m’a rapproché des différents commerçants, dans la mesure où j’essaie de ne pas trop me faire remarquer, de prononcer les paroles qu’ils attendent, de répéter les formules consacrées, les évidences triviales du bon sens ordinaire, de faire vraiment comme si j’étais l’un de ceux qui chaque jour échangent avec eux quelques nouvelles et quelques sourires, comme si « j’en étais », en somme. Je peux me le permettre maintenant que je suis sûr de ne vraiment pas « en être », alors que jusqu’à mon déménagement c’était plutôt l’inverse : ma distance apparente – de l’ennui plus que du mépris, à vrai dire – n’était que pour me persuader que je « n’en étais pas » alors que « j’en étais », et même profondément, regardant la même télé, écoutant les mêmes nouvelles et vivant aussi machinalement que mes interlocuteurs d’occasion. Aujourd’hui, au moins, je suis le seul à coucher dehors, à ne payer ni taxe foncière ni taxe d’habitation, et ils ne le savent pas, sauf François, mais François n’est pas un interlocuteur ordinaire.

Quand je dis que ma perception du quartier a changé, ce n’est d’ailleurs pas aux commerçants que je pense d’abord. Je pense à des tas de choses. À l’architecture, par exemple. J’ai appris à regarder les immeubles et je trouve des beautés ignorées aux plus ordinaires d’entre eux. Architecture des années 1950 et 1960 a fait des ravages par ici, mais beaucoup de constructions des années 1930 ont de l’élégance, et puis, en cherchant bien, on trouve encore des petits pavillons, des cottages à l’anglaise, des villas surprenantes et des jardins secrets. J’avais depuis longtemps vu tout cela, aperçu, survolé. Maintenant, je m’y attarde et j’y prends plaisir.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 82.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
tour

En sortant de voiture, je me suis avancé tout de suite entre les arbres. J’avais emporté avec moi une petite bouteille d’eau de source locale, que je tenais à la main faute d’avoir songé à acheter un sac à bandoulière, voire un sac à dos, et, tout en marchant, je projetais à quelques centimètres de haut ma petite bouteille, en la faisant pivoter en l’air, puis je la rattrapais quand elle avait fait un tour sur elle-même. J’ai modestement jonglé comme ça cinq minutes, après quoi je me suis concentré sur ma promenade.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 39.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
mystère

À Linz, la seule discipline où Adolf excelle est l’histoire ; elle est enseignée par un professeur pangermaniste, le Dr Léopold Pötsch, auquel il rendra un hommage ému dans son précis pour des temps barbares plébiscité sous le titre Mein Kampf. Ludwig, lui, obtient de très bons résultats en éducation religieuse : d’une certaine manière, la figure du Christ l’accompagnera jusqu’à sa mort. Un Christ qui, cloué sur sa croix, doute de Dieu, doute de l’humanité, doute de lui-même et en arrive dans son désespoir à la conclusion que dans cette farce absurde que nous sommes amenés à jouer, peu importe que nous ayons été bons ou mauvais, vils ou nobles, bourreaux ou victimes, sauvés ou damnés… Peut-être est-ce cela que voulait signifier Wittgenstein quand il répétait : « On ne peut raisonnablement ressentir de la rage, même contre Hitler, encore moins contre Dieu. » Selon la formule consacrée, on tue un homme, on est un assassin ; on en tue des millions, on est un conquérant ; on les tue tous, on est un dieu. Le principal défaut de Hitler, ce nécrophile méticuleux, fut de ne pas travailler comme le Grand Dépeceur dans l’anonymat le plus absolu : sans mystère, pas de séduction.

Roland Jaccard, « Le fantôme de Weininger », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 15-16.

David Farreny, 6 déc. 2014

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