s’envelopper

Il faut s’envelopper d’une jeune femme comme les envahisseurs mongols de quartiers de bœufs.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 74.

David Farreny, 1er janv. 2006
audaces

Levé à cinq heures. Je suis en grève. J’attaque aussitôt la difficulté sur laquelle je me suis cassé les dents, mardi. Il faut la pointe de l’esprit, celle neuve, aiguisée que nous rend la nuit, et si prompte à s’émousser, à se briser, pour percer l’espèce de paroi qui me sépare de ce qu’il faut écrire. J’aurai couvert la première page vers neuf heures mais devrai attendre le milieu de l’après-midi pour venir à bout de la deuxième. Il me semble soudain m’être rapproché de la fin. Écrire garde à mes yeux, malgré le temps, sa prime et tenace étrangeté. À la relecture, je perçois encore l’assemblage labile des parcelles ternes, hétéroclites, mal solidifiées, mal liées, que je suis allé chercher je ne sais où, comme en apnée, les choix petits, les pauvres résolutions, les misérables audaces au prix desquels j’ai ajouté deux ou trois mots à ceux qui précédaient, hasardé le début d’une nouvelle phrase, cheminé à la façon d’un escargot vers le bas de la page, les trois et quatre heures d’un labeur violent qu’il a fallu pour remplir un feuillet 21 x 29,7. C’est le lendemain, ou plus tard, encore, que le désordre du chantier, le brouillard d’affects pénibles, d’incertitude et d’impuissance sentie, le halo des possibilités écartées, à chaque pas, s’estomperont. Je ne percevrai plus que le fil mince de ce qui est écrit, et, du même coup, les gauchissements, faiblesses, obscurités, solutions de continuité qui l’affectent et qui m’ont échappé dans le trouble et le tremblement dont je l’ai tiré.

Pierre Bergounioux, « jeudi 20 octobre 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 736.

David Farreny, 20 avr. 2006
conjonction

« Je découvris une chair dont la blancheur faisait penser à du lait frais. Je plongeai mon regard entre ses fesses : l’endroit exhalait comme une odeur de musc. Saisissant alors un petit flacon d’eau de roses, elle en arrosa d’abondance les deux monticules, en ayant bien soin toutefois de ne pas mouiller le minuscule trou rond. »

Wahîba, fille de ’Oumayra, de la tribu de Taghlib, dont Ahmad al-Tîfâchî, auteur tunisien du XIIIe siècle, fait cette peinture charmante du postérieur dans Les délices des cœurs, professe que « la conjonction dans le fondement est le mât qui soutient la tente de l’amour passionné ».

Claude Guillon, Le siège de l’âme. Éloge de la sodomie, Zulma, p. 100.

David Farreny, 23 avr. 2006
manivelle

Le Nombre augmente.

Uniformément l’œuf, par myriades, l’œuf, les sorties de l’œuf ; famille pour les besoins de l’œuf, famine pour les besoins de l’œuf, chaîne sans fin, manivelle venue des désirs. Que d’ovaires offerts de par le monde !

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.

David Farreny, 7 août 2006
centre

À titre personnel, je préfère les personnages « entre deux âges » ; je ne me suis jamais intéressé — et ne m’intéresse toujours pas — aux riches, ni aux pauvres, ni aux hommes politiques, ni aux délinquants, ni aux artistes (mis à part le cas particulier de l’artiste raté, qui me paraît emblématique : on est tous un peu ratés, on est tous un peu artistes). En matière de description sociale, je suis définitivement classes moyennes ; mais ce concept social-démocrate n’a peut-être aucun sens en zone parfaitement libérale. Au milieu de l’aéroport de Houston, juste avant de m’envoler vers l’Europe, je prends clairement conscience qu’au-delà des différences dans la mise en œuvre de nos deux stratégies, on peut probablement y déceler un même objectif : viser en plein centre.

Michel Houellebecq, « Compte rendu de mission : viser en plein centre », Lanzarote, Flammarion, p. 69.

Élisabeth Mazeron, 4 mars 2008
redire

Une vie, nous en sommes vite convenus, mais ce n’était pas une découverte, ça tient en quelques mots ; il n’y a, somme toute, pas grand-chose à en dire. Ce qui prend du temps, en revanche, et là-dessus nous étions aussi tous les deux d’accord, ce sont les hésitations à propos du présent et de l’avenir proche, qui ne cessent de se dire et de se redire sous une forme ou sous une autre.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
attirer

Il retira lentement son bras et ils restèrent assis un moment en silence jusqu’à ce que Frieda, comme si le bras de K. lui avait donné une chaleur dont elle ne pouvait plus maintenant se passer, lui dit :

« Je ne supporterai pas cette existence ici. Si tu veux me garder il faut que nous partions, allons n’importe où, dans le Midi de la France, en Espagne. — Je ne veux pas émigrer, dit K. Je suis venu ici pour y rester. J’y resterai. » Et par une contradiction qu’il ne se donna pas la peine d’expliquer, K. ajouta comme pour lui-même : « Qu’est-ce qui aurait bien pu m’attirer vers ce morne pays sinon le désir d’y rester ? »

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 631-632.

David Farreny, 22 oct. 2011
fermoirs

Mais voici l’étincellement de l’éclaircie et du plein soleil sur toutes les flaques, sur toute l’étendue scintillante de pierres et de tuiles imbriquées : voici le vent qui reconquiert son rocher, ridant la surface de l’eau stagnante et séchant dalles, murs et arêtes, réduisant cette roche à un os poli.

Mais l’eau de l’Arno est tenue en respect. Bien qu’assagi par les méandres en amont, le fleuve torrentiel ne cesse d’être une nature sauvage et nue. Le rapport profond que la ville entretient avec lui renvoie toujours à cette domination. Le fleuve est accueilli entre les murailles et au milieu des maisons en sa qualité de fleuve, force bénéfique et insidieuse avec laquelle il est interdit de s’abandonner aux faiblesses. Ni artifices ni flatteries. Après les divagations ombrageuses et les riantes stagnations de Rovezzano, Varlungo et Bellariva, l’Arno est emprisonné par les hautes murailles et, tout en progressant vers le cœur de la ville, resserré dans sa fosse de pierre, enjambé par des ponts bien plus semblables à de puissants fermoirs pour le sertir qu’à des routes pour le franchir.

Mario Luzi, « Paragraphes florentins », Trames, Verdier, pp. 53-54.

David Farreny, 26 fév. 2013
évites

Les religions instituées, visibles, ne sont plus là que pour te faire croire que le tout de la religion se résume en elles, et que tu n’as donc rien à redouter si tu les évites.

Plus la société sera dévote, plus elle aura besoin de ces vieux panneaux « obscurantistes » si commodes pour cacher les nouveaux autels.

Il y a tant et tant d’illusions qui n’ont pas encore été défrisées !

Tant et tant de croyances qui n’ont pas été réfutées !

Tant et tant d’espoirs qui n’ont pas été déçus !

Philippe Muray, « 11 novembre 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 233.

David Farreny, 29 fév. 2024

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