L’humour bouleverse et renverse tout sens dessus dessous, à tel point qu’un humoriste-né ne se borne jamais à être ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. La plume brillante de Straszewicz, c’est la plume réfractaire de Gogol — par elle Straszewicz devient un anti-Straszewicz, thèse et antithèse dont la synthèse nous fournit un super-Straszewicz : un Straszewicz qui tout en demeurant encore Straszewicz devance le Straszewicz d’un pas allègre.
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 224.
Entre l’exigence d’être clair et la tentation d’être obscur, impossible de décider laquelle mérite le plus d’égards.
Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1720.
Une poche me brasse. Pas de fond. Pas de portes, et moi comme un long boa égaré. J’ai perdu même mes ennemis.
Oh espace, espace abstrait.
Calme, calme qui roule des trains. Calme monumentalement vide. Plus de pointe. Quille poussée. Quille bercée.
Évanoui à la terre…
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 490.
La neige sur les toits millier de pages
une bande d’étourneaux les notes de Satie
une à une dans l’hiver comme un pincement
les années qui s’ébattent s’emboutissent
déferlement d’inclassables saisons. Cette
promenade toujours refusée par l’Amour menu !
Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi
cela devient historique mais vivrais-je cent ans
que rien de plus ne sortirait de ce petit
cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?
Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.
Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée.
Pierre Bergounioux, « mercredi 31 août 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 241.
Allée des orangers : les cloches dans la nuit lancent un petit espoir de convaincre, tellement dissous qu’il atteint toujours le cœur de la cible.
Gérard Pesson, « dimanche 5 janvier 1992 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 51.
À ma demande, Léone me parle de cette mystérieuse tranquillité qu’aiment les femmes et dans laquelle elles se réfugient volontiers après les tourments de l’amour, ou pour les éviter. Par « tourments de l’amour », j’entends moins l’attente déçue, les tromperies, la douleur surtout d’être abandonnée, que l’inquiétude qu’une femme ne peut manquer d’éprouver sur sa féminité même, inquiétude qu’un homme qui aime les femmes a du mal à concevoir, et doit à chaque fois faire un effort pour se représenter à nouveau. Tant pour lui, chaque femme incarne cette féminité désirée, espérée, ce trésor que chacune semble posséder et avoir le pouvoir d’accorder ou de refuser. Alors qu’en fait, de l’adolescence à l’âge mûr, face à l’éventuel désir des hommes, aucune n’est assurée de l’avoir : soit qu’elle se sente trop pauvrement dotée à cet égard – les autres ont de plus gros seins, une plus belle peau, un savoir-faire qu’elle n’a pas –, soit que le passage du temps menace de l’en déposséder.
Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 75.
Certains airs sont du trot, avec un rythme aussi décomposé que la musculature d’un cheval.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 132.
Pendant ces heures de lecture, mon père trouvait enfin, pour une fois, sa place, au soleil dehors sur le banc de la cour, ou sinon sur le tabouret sans dossier à la fenêtre de l’est, où il scrutait avec une mine puérile de savant chacun des caractères – image au souvenir de laquelle il me semble être encore assis auprès de lui.
Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 66.