hydraulique

Elle roucoulait, gargarisante, la salive chuintée, et s’enfilait enfin, doucement, doucement, se poignardait au ventre, droite, par degrés, sans un mot, sans un cri, hagarde, défaite, vous coiffait de sa vulve excentrique, chapeau molletonné, descendait tout au long, depuis le vit, s’alourdissait, sans heurt, se pénétrait, ascenseur hydraulique surchauffé d’un immeuble insonore.

Louis Calaferte, Septentrion, Denoël, p. 65.

David Farreny, 21 mars 2002
unique

Au loin

tout à fait au loin, une latte de fer, frappée, résonne

touchée peut-être par un enfant distrait

qui, rêveur, remarque à peine qu’il fait un bruit

bruit souligné pour moi seul

extraordinaire

unique

qui s’engage dans les profondeurs

introduisant saveur

développant saveur

enfilant saveur

au-delà

au-delà

au-delà.

Je tiens sur l’autel

ce son ineffable et saint

prodigieusement capable

prodigieusement important

inestimable et sacré.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 21 oct. 2005
conversation

Victime d’une conversation il doit s’aliter.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 32.

David Farreny, 19 nov. 2006
étonner

Nous ne finissons jamais de nous étonner que ce qui a été doive cesser d’être. Nous trouvons que bien des choses restent les mêmes : pourquoi dans ce cas devrait-il y avoir un changement en nous ? Cela crée une étreinte convulsive de tout ce qui est, l’impression d’un vide fallacieux dans tout ce que nous voyons. Au lieu du sentiment plein et charnu de la jeunesse goûtant à l’existence et à chaque objet qui la compose, tout est plat et insipide — un sépulcre blanchi, beau à l’extérieur, mais empli par la voracité et toutes les impuretés au-dedans. Le monde est une sorcière qui nous paie avec des faux-semblants et des apparences trompeuses. La simplicité de la jeunesse, l’attente confiante, les transports infinis s’en sont allés ; nous songeons seulement à nous en sortir du mieux que nous pouvons, sans trop de malheur et de désagrément. La fièvre de l’illusion, et même le souvenir complaisant des joies et des espoirs d’autrefois, sont passés ; si nous pouvons nous glisser hors de la vie sans indignité, nous en tirer avec une légère infirmité physique et disposer notre esprit au calme et à la tranquillité d’une nature morte avant de retourner au néant corporel, c’est le plus que nous pouvons attendre.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, pp. 44-45.

David Farreny, 18 déc. 2007
honnêtement

Hier l’inspecteur du lait qui habite la chambre voisine — on ne trouve ici que du lait en poudre, il n’inspecte donc rien — est venu me proposer d’aller ensemble trouver des femmes dans une gargote des collines qu’on lui a recommandée. L’inspecteur qui a l’âge de mon père est consumé par une rêverie érotique qui ne lui laisse pas de répit. À en croire les courbes que, pour me convaincre, ses petites mains tracent dans l’air humide, ces enchanteresses rappelleraient un peu les grandes fourmis Ponérines, tailles étranglées, corselets bien garnis, fortes hanches, cuisses musclées, mâchoires d’ogresses. Pour cette sortie il avait retouché à l’encre violette ses souliers éculés et passé un pantalon de tennis à fines rayures bleues qui poche aux genoux. Dans cette ville, dit la plus vieille chronique de l’Île, il n’y avait de durs que les seins des jeunes femmes, d’ondoyants que leurs regards, de courbes que leurs sourcils, de ténébreuses que leurs nuits.

L’inspecteur a les yeux injectés par l’arak qu’il a bu la veille. Je sais bien qu’il s’agit de pauvres filles édentées, humiliées, peut-être malades ou qui n’existent que dans mon imagination. Tout de même je m’emballe. Je rêve d’yeux bordés de khôl, de voix chaudes comme des tisons contre mon oreille, de fesses de santal patinées par mille paumes rêveuses, d’une touffe brillante comme du crin, honnêtement bombée et fendue. Voilà trop longtemps que je vis seul et s’il faut retourner chez les hommes pourquoi pas par ce chemin-là ? J’ai accepté.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 105-106.

David Farreny, 18 oct. 2009
non

Tout a été soumis à l’Angkar, organisation mystérieuse et omnipotente : la vie sociale, la loi, la vie intellectuelle, la sphère familiale, la vie amoureuse et amicale. Je ne connais pas d’exemple, dans l’histoire, d’une telle emprise, presque abstraite à force d’être absolue : « Il n’y a plus de ventes, plus d’échanges, plus de plaintes, plus de jérémiades, plus de vol ni de pillage, plus de propriété intellectuelle. » Je ne connais pas le nom de ce régime politique – le mot régime lui-même ne convenant pas. C’est un état de « non habeas corpus ». Dans ce monde, je ne suis plus un individu. Je suis sans liberté, sans pensée, sans origine, sans patrimoine, sans droits : je n’ai plus de corps. Je n’ai qu’un devoir : me dissoudre dans l’organisation.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 88.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
essai

En somme je ne sais rien de lui — rien de cette vie qui fut ce que sont les vies, un coup de dés, un essai pour une autre fois, une partie d’écarté. Combien parviennent à trouver, pour s’en revêtir, quelque chose qui ressemble à une forme, à une construction délibérée de la volonté, à une structure ordonnée où soit aboli le hasard, sous l’instance de la lettre, qui sait, des correspondances, de l’ailleurs en toute occurrence lové entre les arcanes de l’ici, celui-ci fût-il un tombeau ?

Renaud Camus, « 2-2-12-03-19-14-1-1-1-7 », Vaisseaux brûlés.

David Farreny, 5 mai 2012
assaut

L’engagement n’est rien, l’assaut, quotidien, solitaire contre les normes changeantes de toute société est tout.

Philippe Louche, « 18 mai 2020 », Rien (ou presque). 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024

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