La sagesse n’est pas venue, dit Pollagoras. La parole s’étrangle davantage, mais la sagesse n’est pas venue.
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 233.
Quelque chose, chez lui, interdisait peut-être qu’on s’[…]inquiétât sérieusement, ou bien c’était moi qui lâchais, qui décrochais, soudain, et […] je songeais à ces efforts que tous trois nous déployions, finalement, quand nous étions au fond des solitaires, qui s’efforçaient de l’être moins, sans doute, mais qui, se faisant, se contentaient d’écorner quelque contrat passé avec eux-mêmes.
Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 96.
Ce qu’il y a d’admirable dans le bonheur des autres, c’est qu’on y croit.
Marcel Proust, « lettre à Antoine Bibesco », Correspondance.
On m’a raconté que, de l’instant où j’ai eu l’usage de l’alphabet, la moindre sortie tournait au cauchemar. Pas moyen de m’arracher au laborieux déchiffrement des inscriptions moulées dans les plaques d’égout – Fonderie Puydebois, ça m’est resté – ou peintes sur de petits écriteaux en tôle émaillée, fichés dans l’herbe du parc. Ils stipulaient qu’il était interdit de marcher sur la pelouse, que les chiens devaient être tenus en laisse et les papiers jetés dans les corbeilles « ad hoc ». Il paraît que ça n’allait plus du tout. Impossible de m’entraîner. Je butais sur « ad hoc ». Il y avait une faute ou alors, contrairement à ce que j’avais cru, l’écrit continuait de m’échapper. Quelqu’un, qui n’était pas plus avancé que moi, a déclaré que c’était de l’américain et j’ai consenti à repartir, à regret.
Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 28.
L’histoire, sur laquelle notre début de siècle s’est tellement appuyé pour vivre et penser, ne servira bientôt plus de rien, tant ce qu’on va voir (basé sur la technique et non plus sur l’horreur) aura de moins en moins de précédents.
Paul Morand, « 15 février 1976 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 731.
Parfois aussi il se demande si
ce lui serait très dur de disparaître
sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses, être
le long reflet d’un calme réussi.
Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 227.
On reconnaît les grandes époques à ceci, que la puissance de l’esprit y est visible et son action partout présente. Il en est ainsi de ce pays ; dans le déroulement des saisons, dans le service des dieux et dans la vie humaine, aucune fête n’est concevable sans la poésie.
Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 55.
N’est ineffable ou indicible que la chose dont j’ignore le nom. Et même, avec les mots dont je dispose, je peux élaborer la périphrase qui colmatera cette lacune lexicale. Le sentiment, assez commun, de vivre ou d’éprouver des expériences que le langage humain ne saurait décrire relève plutôt, je le crains, d’une exaltation proche de celle qui nous fait appréhender parfois, croyons-nous, l’existence de Dieu ou la présence des morts, une espèce d’illusion mystique qui a pour unique fondement notre incapacité à nous résoudre à n’être que ce que nous sommes, des animaux mortels, certes fines mouches et rusés renards, mais plantés dans nos corps et dans ce monde sans issue.
Éric Chevillard, « mercredi 13 novembre 2013 », L’autofictif. 🔗
Ajourne toute chose. On ne doit jamais faire aujourd’hui ce qu’on peut aussi bien négliger de faire demain.
Fernando Pessoa, « 147. De l'art de bien rêver », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.