colère

Tout ce que tu dis dans la colère, le babouin l’a crié avant toi.

Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 128.

David Farreny, 20 nov. 2005
mutilés

Le bouleversement de l’émotion était passé à l’allure d’un train rapide sur ceux qui étaient restés, et qui gisaient recroquevillés entre les bancs polis comme des mutilés entre les rails.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 51.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
noms

Grâce à ma fatigue, le monde était grand et débarrassé de ses noms.

Peter Handke, « Essai sur la fatigue », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 31 oct. 2009
révèlent

Réveillé à six heures du matin aujourd’hui, à deux heures de l’après-midi hier ; entrant donc dans la journée à l’improviste, suis resté frappé de ce que les premiers beaux jours révèlent des destinées tout autres, très lisibles, qui auraient pu être les nôtres si tout avait mieux tourné, absolument comme les vues aériennes en période de sécheresse permettent de révéler des substructions antiques.

Gérard Pesson, « samedi 9 mai 1998 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 296.

David Farreny, 27 mars 2010
glorifiantes

Les vacanciers se sont installés dans de petites zones pavillonnaires, molles et saugrenues. Si l’aboiement d’un chien est ordinaire (je ne me demande plus pour qui le chien hurle à la mort), un cri de coq constituerait une incongruité à peine moindre qu’un meuglement. Aux ébrouements animaux se sont substitués les crépitements mécaniques : crissements des freins, dérapages des roues sur le gravillon, bourdonnement des moteurs tournant au ralenti, tandis que les conducteurs font la conversation. À ces bruits s’ajoutent ceux que produisent les passions glorifiantes des propriétaires, l’usage des scies qui geignent sur le bois, crissent sur le fer, celui du marteau, dont les coups irréguliers rendent fou. Dès qu’un individu est à la retraite, il sait tout faire. À condition que cela fasse du bruit.

Jean Roudaut, « Jour de souffrance », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 28.

David Farreny, 7 juil. 2014
tension

Je me sentais clairement ici — à une baisse de tension qui n’était pas le calme de la campagne, à un début d’engourdissement encore plaisant de l’imagination et de la curiosité — sur les lisières du monde habitable : une vie petite, un peu décolorée, un peu falote, pour laquelle l’espace semblait trop grand, la journée trop longue, bougeait à faible bruit sur ces marges crépusculaires ; les sons venaient frapper l’oreille, affaiblis, ouatés, espacés, comme quand on débarque au Montanvers — la grand’route qui traversait l’Elf sur son pont de ciment bifurquait au fond de la perspective sous une ligne de panneaux indicateurs qui semblaient concerner déjà l’enjambement d’un espace abstrait, des liaisons aériennes plutôt que routières : Haparanda — Finlande : 400 kms — Kiruna : 600. Bien avant quatre heures du matin, à travers mes rideaux le jour me réveillait ; je me levais et j’allais à ma fenêtre : une vive et blanche lumière de limbes, sans un chant d’oiseau, sans un bruit de voiture, éclairait la place vide, évacuée avec la nuit par les occupants de son parking, et où pour trois heures encore, dans le jour grand ouvert et pourtant déserté comme un œil de nocturne, nul signe de vie n’allait bouger.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 235-236.

David Farreny, 20 oct. 2014
respect

Ce respect pour des poètes que l’on ne comprend pas et que, malgré tout, l’on veut atteindre, est la source de nos méchantes littératures.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 113.

David Farreny, 23 oct. 2014
catégories

Les ressemblances physiques se resserrent après 50 ans, les visages se rangent alors plus nettement par catégories – certaines d’entre elles accueillent des foules de quasi-sosies. Comme, par ailleurs, les esprits formatés par la société brillent rarement par leur originalité, il ne reste pour distinguer les individus que leur histoire, leur passé, les événements qui ont jalonné leur existence. Tous monozygotes séparés à la naissance et dont les destins à nouveau convergent.

Éric Chevillard, « mardi 7 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 juin 2016
convenances

Dans le secret de son cabinet, Caraco laissait libre cours à ses aigreurs d’atrabilaire, mais, tel Philinte dans Molière, pour la vie en société, il se prescrivait une sagesse semblable à un stoïcisme de cour, tenant les bonnes manières pour les vertus les plus droites. Le misanthrope conséquent se montre avisé en observant – tant qu’elles durent – les convenances, ces principes civils de non-agression et de comédie amicale que les humains eurent la prudence d’établir afin de limiter leur détestation réciproque. Ayant tout à redouter de leur « fraternité », il mise, en un mot, sur la politesse, utile mascarade permettant d’exprimer son mépris sous des dehors aimables et, par là, de préserver son quant-à-soi. Barbey d’Aurevilly conseillait de même. « La politesse, disait-il, est le meilleur bâton de longueur entre soi et un sot et qui nous épargne même la peine de frapper. » À cette judicieuse politique, Caraco prêtait aussi une valeur esthétique.

Frédéric Schiffter, « Haïr la vie à en mourir (Sur Albert Caraco) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024
journal

L’égotiste est un Narcisse jamais lassé de dire à son reflet : « Je t’ai assez vu ! ». Il lui faut même l’écrire. Obsédé par l’inspection de son nombril, il ne lui reste que l’écriture d’un journal intime, de confessions ou de mémoires. Il y peut faire des phrases, soigner quelques poses, réarranger les événements à son avantage, il y est malgré tout le délateur de soi-même. Véritable miroir d’une dépouille, les écrits intimes fournissent la preuve du peu d’existence de leur auteur. Afin de châtier son crime d’être né, condamné par lui-même aux travaux forcés du style, l’écrivain égotiste relate son agonie et s’enterre vivant sous des monceaux de phrases.

Frédéric Schiffter, « 28 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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