intérêt

Un de ces endroits qui, aperçus sur la carte d’un atlas, suscitent notre intérêt… pourquoi ? parce que totalement dépourvus d’intérêt… Non, bien sûr, personne n’y va jamais, qu’est-ce que ça peut bien être, Goya ? Notre doigt retombe sur un vocable de ce genre — hameau en Islande, bourgade d’Argentine — et l’envie d’y partir nous envahit…

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 438.

David Farreny, 22 mars 2002
style

Dieu. Rien à faire. Comment pourrais-je rêver à un Dieu absolu dans le haut des cieux, un Dieu de style ancien ?

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 378.

David Farreny, 24 mars 2002
crochet

Je comprends parfaitement les femmes qui font de la broderie par chagrin, et celles qui font du crochet parce que la vie existe.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 31.

David Farreny, 9 fév. 2003
voulant

C’est qu’il boit toujours, Roulin ; mais cela ne marche plus comme avant. Cela ne donne plus ce corps violent, voulant, que la jeunesse comme hors d’elle-même suscite, cette pure gloire faite chair, Augustine est bien vieille, et même les petites écaillères, leur œil de côté, leur bras blanc, si par chance ou aveuglement elles vous prenaient pour un satrape, on poserait en vain la main sur elles : pourtant on les regarde avec les mêmes yeux qu’on avait à Lambesc, et leur corps est le même, lourd, prodigieux. Il semble que tous les amis avec qui vous buvez ont changé, ils sont devenus inattentifs, indélicats, ils ne daignent plus voir que sous la casquette des Postes une espèce de prince chante et tient des propos intelligents, d’ailleurs le prince parle peut-être moins volontiers, il y a trop de choses dans le monde que le facteur n’a pas comprises, et il sait qu’il ne les comprendra plus, que le prince donc ne les dira pas.

Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin, Verdier, p. 49.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2007
glaires

Accepteriez-vous de nous montrer un échantillon de vos brouillons ?

— Je suis au regret de devoir refuser. Seules les nullités ambitieuses ou les médiocrités joviales exhibent leurs brouillons. C’est un peu comme si l’on distribuait des échantillons de ses propres glaires.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 12.

David Farreny, 4 mars 2008
cristal

Alors qu’on voit sur Mercure, sur Vénus, des nuages, des vicissitudes atmosphériques vivantes, la Lune est dépourvue de nuages, de mers, de fleuves, et, pourtant, des nappes d’eau, des filons d’argent se laissent très bien reconnaître en elle. On voit fréquemment sur la Lune des points lumineux passagers, que l’on tient pour des éruptions volcaniques ; il faut assurément pour cela une sorte d’air, mais qui soit une atmosphère sans eau. Heim, le frère du médecin, s’est efforcé de montrer que, si l’on se représente la Terre d’avant les révolutions géologiques prouvables, elle a la figure de la Lune. La Lune est le cristal sans eau qui cherche, en quelque sorte, à s’intégrer à notre mer, à étancher la soif de sa rigidité, et, pour cette raison, provoque flux et reflux. La mer s’élève, elle est sur le point de s’enfuir vers la Lune, et la Lune est sur le point de l’attirer à elle.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 403.

David Farreny, 28 fév. 2011
déchiré

Je crois que cette insomnie tient uniquement au fait que j’écris. Car si peu et si mal que j’écrive, il n’en reste pas moins que ces petits ébranlements m’éprouvent ; je sens, vers le soir et surtout le matin, l’approche, la possibilité imminente de grands états exaltants qui me rendraient capables de tout, mais ensuite, au milieu du bruit général qui est en moi et auquel je n’ai pas le temps de donner des ordres, je n’arrive pas à trouver le repos. En fin de compte, ce bruit n’est qu’une harmonie réprimée, contenue, qui, laissée libre, me remplirait entièrement, plus même, pourrait me dilater sans cesser de me remplir. Mais pour l’instant, à côté des faibles espoirs qu’il fait naître, cet état ne me fait que du mal, ma nature ne disposant pas d’une compréhension suffisante pour supporter l’actuel mélange ; pendant le jour, le monde visible me vient en aide, la nuit, rien ne s’oppose à ce que je sois déchiré.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 89.

David Farreny, 7 oct. 2012
direction

L’acteur et la femme suivirent le père des yeux, puis se donnèrent la main pour se dire au revoir et sursautèrent en même temps du fait d’une légère décharge électrique.

La femme dit : « En hiver, tout se charge d’électricité. »

Ils voulurent se séparer mais remarquèrent alors que leur direction était la même, aussi allèrent-ils, côte à côte, sans parler. Devant le parking où ils rattrapèrent le père, ils se séparèrent encore une fois avec un hochement de tête mais continuèrent cependant ensemble parce que leurs voitures se trouvaient presque l’une à côté de l’autre.

En roulant, la femme vit l’homme la dépasser ; il regardait droit devant lui ; elle obliqua.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 86.

Cécile Carret, 30 juin 2013

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