Ce que je veux dire, c’est… enfin… gardez-vous d’ignorer que nous ne sommes que des créatures issues de la poussière. Oui, c’est peu comme encouragement, il faut bien se mettre ça dans la tête. Mais cela dit et compte tenu somme toute d’un mauvais départ, les choses pourraient être pires. Aussi je suis persuadé en ce qui me concerne que même dans une situation aussi pourrie, nous saurons nous en tirer. Vous me saisissez ?
Philip K. Dick, Le Dieu venu du Centaure, Omnibus, p. 341.
Il en tombe. On ne les revoit plus. Il en reste. Il en reste énormément.
Les nouveaux venus. La nouvelle agitation. La nouvelle explication. Nouveaux maléfices.
Criant, ils s’accrochent, ils s’accrochent. Tous, à tout prix, au moins une fois paraître à la terrasse.
À peine sachant lire, déjà empereurs. Des troupeaux d’empereurs.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1183.
Lorsque avec Algren elle découvre le monde underground de Chicago, lorsque avec lui elle a une vie commune dans la petite maison de Wabansia, ce ne sont pas seulement des expériences où on se livre plus ou moins ; ces rencontres l’affectent profondément. Elles sont la couleur même de la vie ; elles participent à cette construction d’un « moi » qui ne s’arrête qu’avec la mort. Comme chaque fois, elle y est tout entière engagée. Mais comme chaque fois il faut les « reprendre dans la liberté » : décider ce qu’on en fait ; les assumer ou les contester. Leur trouver une place — trouver leur place — dans cette création continue qu’est l’existence. C’est ce qui donne à ces lettres une tension, une émotion palpables : à chaque instant le Castor joue sa vie. Rien de moins. Chaque moment qu’elle vit est un moment destinal ; à chaque rencontre qu’elle fait, tout son être est en alerte : tout peut basculer, tout peut être anéanti : tout peut être sauvé.
Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.
C’est le côté pascalien du Castor : l’univers peut m’écraser mais il ne le sait pas. Et ma victoire sur lui est infinie, parce que je pense, et parce que je veux.
Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.
Moralité : ce n’est plus le sentiment de supériorité religieuse, raciale ou nationale qui, sous nos latitudes, fait les antisémites, c’est la honte, la contrition, une mémoire en forme de casier judiciaire et le remords d’appartenir au camp des oppresseurs. Ainsi s’égare la mauvaise conscience ; ainsi bascule dans la monstruosité cette aptitude à se mettre soi-même en question qui a longtemps constitué le meilleur de l’Occident, son trait distinctif et sa principale force spirituelle.
Alain Finkielkraut, « Au pays du progressisme déconcertant », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 235.
Fait et défait les scénarios de la vie future. Quelle nuance y a-t-il entre la patience et la réussite ?
Gérard Pesson, « mercredi 20 octobre 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 118.
Lorsqu’on voyage en seconde classe, on ne voit pas bien la nécessité des premières ; mais la réciproque n’est pas vraie.
Bernard Delvaille, « Vesteraalens Dampskibsselskab », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 49.
Vers onze heures des gens commencent à sortir, avec des enfants et des chiens. J’oblique dans la direction opposée.
À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également.
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, p. 122.
Monsieur Songe est né méditatif. Il intervertit les images ou les confond suivant les yeux qu’il ouvre, ceux du dehors ou ceux du dedans. D’où les invraisemblances relatives aux paysages qui lui sont familiers.
Une aquarelle très fluide pour suggérer les illusions de la mémoire.
Cette minute présente.
Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 27.
L’habitacle roule vers le Nord, les amples et veloutés nuages dont la frange supérieure réalise la lumière roulent vers le Sud. Par mon seul regard souverain qui ne peut rien posséder mais qui peut tout recevoir, je jouis de la douceur solide de l’habitacle et de la légèreté lumineuse des nuages. Ces deux couvertures me protègent de tout excès de dépense pendant que je traverse les nobles provinces.
Jean-Pierre Vidal, « Quelques heures de silence », « Théodore Balmoral » n° 71, printemps-été 2013, p. 109.
– Je verrai tout cela à tête reposée, disait-il souvent, mais quand la condition fut remplie, la première pelletée de terre l’aveugla complètement.
Éric Chevillard, « jeudi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗