hydraulique

Elle roucoulait, gargarisante, la salive chuintée, et s’enfilait enfin, doucement, doucement, se poignardait au ventre, droite, par degrés, sans un mot, sans un cri, hagarde, défaite, vous coiffait de sa vulve excentrique, chapeau molletonné, descendait tout au long, depuis le vit, s’alourdissait, sans heurt, se pénétrait, ascenseur hydraulique surchauffé d’un immeuble insonore.

Louis Calaferte, Septentrion, Denoël, p. 65.

David Farreny, 21 mars 2002
s’insinuait

Le moteur coupé, le silence se refermait comme une eau profonde sur le trouble léger qui l’avait traversé — huit cents kilos de fer alésé, embouti, riveté, obéissant aux volitions du corps, bien moins lourd, qui s’y insinuait, lequel à son tour semblait répondre aux directives hasardeuses de la conscience impondérable, de moins en moins patente à elle-même, qu’il hébergeait.

Pierre Bergounioux, Catherine, Gallimard, p. 38.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
dissous

Nous ne mourons pas entièrement à notre mort : nous nous sommes graduellement dissous longtemps avant. Faculté après faculté, intérêt après intérêt, attachement après attachement, toutes ces choses disparaissent les unes après les autres ; nous sommes arrachés à nous-mêmes durant notre vie, chaque année qui passe voit en nous un être différent, et la mort ne fait que consigner dans la tombe le dernier fragment de ce que nous étions.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
secret

L’eau fuit avec des froissements de couleuvre, tinte, dans sa hâte, contre les pierres, écume légèrement contre sa rive, profère des paroles que j’ai failli comprendre, qu’il a tenu à un imperceptible défaut d’articulation de sa part ou d’attention de la mienne, que je n’entende. Une bouche humide a formé, à trois pas, les mots qui contenaient à n’en pas douter un grand secret. J’ai surpris la voix de la terre rêvant tout haut mais notre désaccord foncier, le mauvais vouloir, l’hostilité qu’elle nous a marqués, d’emblée, à nous qui pourtant étions ses enfants, n’a pas permis que j’en recueille le dire, que je sois introduit, trop passager, périssable, sans doute, à de profondes, d’éternelles vérités.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 14.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
mais

De l’utilisation du mais. Ennio Flaiano rencontre dans la rue, un jour de 1946, le peintre Mino Maccari, sombre et attristé, qui lui confie : Ho pocho idee, ma confuse — “j’ai peu d’idées, mais confuses”.

Gérard Pesson, « mardi 4 octobre 1994 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 158.

David Farreny, 27 mars 2010
échapper

On m’a raconté que, de l’instant où j’ai eu l’usage de l’alphabet, la moindre sortie tournait au cauchemar. Pas moyen de m’arracher au laborieux déchiffrement des inscriptions moulées dans les plaques d’égout – Fonderie Puydebois, ça m’est resté – ou peintes sur de petits écriteaux en tôle émaillée, fichés dans l’herbe du parc. Ils stipulaient qu’il était interdit de marcher sur la pelouse, que les chiens devaient être tenus en laisse et les papiers jetés dans les corbeilles « ad hoc ». Il paraît que ça n’allait plus du tout. Impossible de m’entraîner. Je butais sur « ad hoc ». Il y avait une faute ou alors, contrairement à ce que j’avais cru, l’écrit continuait de m’échapper. Quelqu’un, qui n’était pas plus avancé que moi, a déclaré que c’était de l’américain et j’ai consenti à repartir, à regret.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 28.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
épeurai

Porté par un tel élan, j’y fus bientôt, et, sous l’orbe adouci de la lampe, je retrouvai le lieu d’une existence dont la médiocrité m’apparut, brutale, et d’un coup. Rien n’avait changé cependant, et, dans ce sommeil qu’ont les choses la nuit, mes objets familiers demeuraient à leur place, silencieux et prêts à l’usage.

Un reste de feu mourait sous la cendre ; sa lueur dorait le flanc d’un vase, et, çà et là, quelques reliures. Je vis sur ma table le travail commencé, les feuillets noirs, et la plume, et les notes innombrables. Je vis tous ces témoins de mon labeur et de ma foi ; leur inutilité navrante m’apparut, et celle même de ma vie, et son ordre pauvre. Je perçus combien grande était ma faiblesse, et je m’épeurai.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 84-85.

David Farreny, 13 juil. 2010
correspondances

À mes yeux, un livre, ou même un simple article de presse, n’est pas terminé une fois publié : il attend qu’on le cite ou qu’on l’exhume à propos, et surtout qu’on le mette en relation avec d’autres, afin de faire jaillir de nouvelles étincelles de sens ; avec d’autres, et en particulier avec des écrits relevant d’autres catégories que la sienne. […] Au-delà de ses nombreux inconvénients, la position de non-spécialiste a l’avantage d’offrir un point de vue depuis lequel on peut plus facilement déceler des correspondances entre des domaines qui semblaient sans rapport.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 18.

Cécile Carret, 1er mai 2012
tête

Il n’utilisait ni peigne ni brosse. Ses cheveux, auxquels collaient les duvets de l’oreiller, il les ébouriffa de ses doigts pour être dépeigné autrement que la nuit, et il arrangea ses boucles devant le miroir jusqu’à ce qu’il y aperçoive la tête qu’un jour il s’était imaginée, et qu’il avouait le plus volontiers être la sienne. Puis il noua sa cravate avec le plus grand soin.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 89.

Cécile Carret, 28 août 2012
amour

L’homme dont je rêve sera celui qui aime en moi la femme qui ne dépend plus de lui. – Et qu’aimerez-vous en lui ? – Cette sorte-là d’amour.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 66.

Cécile Carret, 26 juin 2013
citrons

Mais, avant de partir, j’achetais au marchand de journaux l’un des quotidiens de Rome ou de Milan dont chaque page avait la taille d’une affiche et qu’on lisait en écartant les bras comme un Christ. Chaque mot imprimé avait son poids d’encre et de plomb. Sans couleur, sans publicité, la une ne présentait rien que d’intimidant. Cette austérité, au pays des citrons !

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 101.

David Farreny, 20 juil. 2014
pessimiste

Quand Flaubert se demandait pourquoi il n’avait pas eu de femmes, pourquoi « l’être féminin » [n’avait] jamais été “emboîté” dans [son] existence, il donnait trois causes :

1. il était lui-même un être féminin ;

2. il était pessimiste ;

3. il était artiste.

Philippe Muray, « 23 novembre 1981 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 154.

David Farreny, 2 mars 2015

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