gombrowiczien

Je n’ai, moi, jamais signé de contrat stipulant livraison d’idées absolument inédites. Certaines idées flottant dans l’air que nous respirons ont su se nouer en moi en un sens spécifiquement gombrowiczien, unique et impossible à recréer : et ce sens, je le suis moi-même.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 209.

David Farreny, 21 mars 2002
publiés

Les Anciens pourraient dire à raison que leurs poèmes, simplement chantés, étaient publiés, tandis que nos livres, imprimés, restent toujours inédits.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 nov. 2002
sortir

Il n’y a pas d’endroit agréable, puisque notre corps nous empêche de sortir.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 30.

David Farreny, 20 nov. 2004
besoin

Du temps passe, du temps que je ne remarque guère, dans la lourdeur… puis subitement, dans ce vague, je perçois une annonce perçante « bras droit ». Signal clair, sur quoi on ne peut se méprendre. Il me faut y aller voir. Je me redresse pour inspection. Un os, un os hors de son trajet, comme à l’aventure paraît vouloir sortir du bras, poussant en biais vers où il n’a que faire et que ma peau tendue retient. Mauvais ! Le pied droit enflé comme une dame-jeanne. Mauvais aussi ! Cela ne saurait s’arranger tout seul, ni par moi au pauvre savoir. On va avoir besoin d’autrui. Désagréable. Désagréable. Fin de l’espoir.

Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 858.

David Farreny, 5 juil. 2006
raurait

Le nuage songeait à sa pluie tombée, à la ravoir, et qu’il la raurait ;

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 62.

David Farreny, 12 mars 2008
affreuse

Mais cette première « alerte », comme disent les médecins sur un ton qui ne l’est que trop, signe l’entrée sans retour de la maladie et de la mort dans la vie du Castor : « Notre mort est en nous, non comme un noyau dans le fruit, comme le sens de notre vie ; en nous, mais étrangère, ennemie, affreuse. » Tout s’éteint : la mort maintenant la possède, et elle se sépare de Lanzmann. C’était normal, dit-elle, fatal, même souhaitable : gradation significative. Et progrès dans le sens de Descartes ; si je finis par souhaiter ce qui était inévitable, alors c’est que j’accepte enfin de « changer mes désirs » plutôt que l’« ordre du monde ». Cela n’empêche pas de souffrir.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, pp. 453-454.

Élisabeth Mazeron, 9 juin 2009
aimable

Combien de pères malpropres il y a, combien de mères délabrées ! Comme les hommes qui se croient aimés sentent souvent la crasse, et comme les coiffures des femmes qui se fient à leur amant sont souvent aplaties ! Les pantalons d’un conjoint sont souvent tachés et déformés, alors qu’un célibataire vivant seul débute presque toujours sa journée étincelant et bien rasé. C’est la certitude des gens liés de ne plus avoir à plaire qui fait cela, puisqu’ils ont déjà plu une fois et que celui ou celle à qui ils ont plu saura bien s’en souvenir. À cela s’ajoute leur peur panique de plaire une nouvelle fois et d’être entraînés dans les abîmes d’une nouvelle passion. Souvent, retenu par la crainte de plaire, on oublie d’être aimable.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, p. 79.

David Farreny, 11 mars 2010
nullifié

Telle fut, je crois, la première pensée qui se leva en moi lorsque je finis par éprouver comme une chose gênante et indécente ma propre existence au sein de l’entière blancheur. Je sentis péniblement la matérialité de mon corps qui faisait obstacle à la toute paisible et pacifiante expansion du blanc. Je me découvris singulier, hétérogène, rejeté du cœur absent de ce monde nullifié que je contemplais, certes, mais qui ne m’était pas donné en partage. Et dans le désert d’être qui se perdait en ses propres lointains sans forme, sans couleur et sans substance, ma présence, infiniment chétive, faisait injure au néant.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 76.

Élisabeth Mazeron, 24 mars 2010
pur

À qui Duch ne voudrait-il plaire ? Qui ne veut-il emporter dans son enfer intime et sophistiqué ? Un après-midi que son attitude m’excède, je lui demande : « Comment un intellectuel comme vous a-t-il pu agir de la sorte ? » Il me lance : « C’est ainsi. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse maintenant ? » Moi : « Vous pourriez vous tuer, par exemple. Vous n’y avez jamais pensé ? » Il a un instant d’hésitation : « Si. Mais ça n’est pas si facile. » Moi : « Mon père l’a fait, vous savez. » Alors Duch se met en colère, sa voix devient aigüe et menaçante : « Oui, c’est ça ! Votre père, c’est un héros ! » Je réponds doucement : « Je ne crois pas. Il a mis ses actes en accord avec ses idées. Il se respectait. Vous avez fait la révolution pour la justice, non ? Être un héros me semble facile : sauter sur une mine ; mourir pour sa cause ; c’est un état de guerre. Mais être un homme ; chercher la liberté et la justice ; ne jamais abdiquer sa conscience : c’est un combat. » Duch ne répond pas. Ses grands yeux regardent derrière moi, est-ce le garde, un mur, la caméra, le passé ?

Sur la table de travail de Pol Pot, dans la jungle, il y a des livres de Marx, Lénine et Mao. Un cahier. Des crayons. À côté, un lit de camp, et un krama parfaitement plié. Simplicité et vérité de la révolution. Je me suis souvent arrêté sur cette image de propagande. Qu’ont-ils fait de leurs idées pures ? Un pur crime.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 94.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
alevins

Le représentant, un faux jovial à beaux traits de retable. S’excuse d’avance : « Y’aura peu de monde, c’est Pâques, la rentrée des classes. » Je ne lui en demandais pas tant. Malgré quoi les gosses remplissent la salle. Garçons de la Sainte-Trinité, filles de l’Annonciation, et tous les branleurs de la communale. Un parterre d’alevins frétillants qui ne tiennent pas en place.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 58.

Cécile Carret, 18 juin 2012
dictée

Pour ce qui est du genre, mon désir, s’affinant et se précisant au fur et à mesure que les choses avançaient, aura finalement été celui de parvenir à un livre composite, embrayant différentes vitesses d’écriture, tenant par certains côtés de l’essai et par d’autres du journal de bord, du récit et de l’embardée, voire, épisodiquement, du poème en prose, tout ce qu’on voudra mais en tout cas tendu par une injonction plus brutale – non pas le réalisme bien sûr, plus personne n’y croit, mais le désir que la forme verbale, quel que soit par ailleurs son travail, réponde le plus exactement possible à une dictée extérieure venant des choses rencontrées, le modèle, non verbal, étant ici celui de la photographie et de sa teneur indicielle, le petit écran baladeur des appareils numériques étant compris dans le lot. Tatouage mobile ou mue qui est quand même pour l’écriture un défi, car sous les mots le piège qui se tend toujours, via la linéarité induite par l’articulation du sens, est celui d’une involontaire refondation rhétorique.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
surdité

Qui peut écrire comme ça, aujourd’hui, sachant que le théâtre des opérations est devenu quasi insignifiant, notamment sur le plan de la langue ? La perte du sentiment de la langue, quoi qu’on en dise, produit une déperdition littéraire : la surdité est culturelle, l’aveuglement, idéologique.

Richard Millet, « 25 décembre 1999 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024

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