intérêt

Un de ces endroits qui, aperçus sur la carte d’un atlas, suscitent notre intérêt… pourquoi ? parce que totalement dépourvus d’intérêt… Non, bien sûr, personne n’y va jamais, qu’est-ce que ça peut bien être, Goya ? Notre doigt retombe sur un vocable de ce genre — hameau en Islande, bourgade d’Argentine — et l’envie d’y partir nous envahit…

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 438.

David Farreny, 22 mars 2002
mort-nés

Or, c’était, ce quart de seconde, un de ces quarts de seconde qui comptent dans une vie, qui se comptent, ou se décomptent, tant il est vrai que les autres passent, mort-nés, pas même distincts de leurs confrères, à peine successifs, dans cette sensation de globalité qui emporte les jours ordinaires — presque tous, en fait.

Christian Oster, Mon grand appartement, Minuit, p. 70.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2002
fantassins

Une section de fantassins se repose dans un espace vide entre deux maisons. Les uns sont couchés, dorment. Les autres, debout, contemplent avec indifférence la caravane morcelée dans le village. Je m’approche. Ils ont fait la Somme. J’attends d’eux quelque clarté, quelque espoir. Mais je n’ai devant moi que les soldats mystérieux, les soldats résignés. Je cherche en eux l’âme, le fond, le choix, le désir. Ils ne me livrent pas leur secret. Ils parlent soldat. Ils sont las. Je n’obtiens d’eux que quelques : « Il ne faut pas s’en faire… »

Léon Werth, 33 jours, Viviane Hamy, p. 19.

Cécile Carret, 11 mars 2007
Autre

C’est de la mise en vedette de ses ennemis qu’Homo festivus tire la plus belle part de son pouvoir, et la plus durable. En festivosphère, c’est-à-dire dans cet Empire qui a perdu son Autre, son opposé, ses opposants, ses antagonistes, ses contradicteurs, et où même les vieilles notions de distance, d’écart, d’éloignement n’ont plus guère de signification, les discordances doivent être recréées comme le reste. Elles doivent être reconstruites de toutes pièces, puis conservées précieusement à titre de dangers protégés, parce que cet Empire a besoin de repoussoirs pour qu’on l’apprécie à sa juste valeur ; et de marges assez sordides pour dissuader quiconque d’avoir la tentation de le critiquer de l’extérieur : seule la critique interne, solidaire du « système », lui paraît encourageable.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 114-115.

David Farreny, 19 janv. 2008
mensonge

Passé le Torne-Träsk, on entre en Laponie norvégienne. Le chemin de fer, qui traversait des eaux dormantes et un désert pierreux, s’engage brusquement sur la paroi d’un fjord. En bas, tout en bas, au-dessus de la vague glauque, des hameaux s’accrochent à la montagne verdoyante. Le paysage est grand, abrupt, touché çà et là de douceur humaine, et, jusque dans sa raideur, d’une jeunesse impétueuse. On débouche sur le port de Narwick, petite ville que la Norvège vient de jeter là comme un appeau brillant aux minerais de la Suède, et on s’embarque pour les îles Lofoten.

Elles nous apparurent dans la nuit. Nous vîmes se dresser, barrant l’horizon, une chaîne ininterrompue de hautes montagnes crénelées, effilées, déchiquetées, sculptées, gothiques. Elles étaient d’un gris bleu avec des lueurs de soleil ou de neige et de petits nuages ourlés de feu entre leurs dents aiguës. Tout l’archipel se mirait sur une mer d’un vert de métal, comme s’il eût été suspendu dans une clarté diaphane. Le navire se glissa par d’énormes brèches, longea des corridors, doubla des murailles de granit, nous promena toute la nuit dans un aquarium de pierre, d’écume, de mousses luisantes et d’algues d’or. Nous nous aperçûmes que le jour naissait aux plis d’ombre qui se creusaient sur les rochers. L’inégalité de la lumière nous avertissait que la nuit était passée. L’obscurité commençait à rétrécir les couloirs ; mais les crêtes et les rampes où frappait le soleil revêtaient le mensonge brillant de la vie.

André Bellessort, La Suède, Perrin.

David Farreny, 13 janv. 2015
mélanger

Il faudrait une vie pour être amoureux, une autre pour être érudit, une troisième pour être riche, et une autre encore pour être beau. Le drame est que nous sommes obligé de tout mélanger.

Jérôme Vallet, « Notations (4) », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024
abolie

Sitôt apparue abolie, la jolie passante est une étoile filante, la preuve en est encore, mon pauvre ami, que ton vœu ne se réalisera pas.

Éric Chevillard, « mercredi 13 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
doctrines

Dans le dernier lustre des années 1970, le milieu intellectuel français se coiffait de phénoménologie, de structuralisme, de marxisme, de psychanalyse. C’était aussi la mode des retours à – retour à Nietzsche, à Marx, à Freud, à Heidegger. On glosait et on s’entre-glosait doctement sur la mort du sujet, le signifiant et le signifié, le fascisme de la langue, la déconstruction, les machines désirantes, le Dasein, l’objet « a », que sais-je encore. On avait la manie de la théorie – y compris dans les marges de l’intelligentsia universitaire où se formulait une grandiloquente critique de la « société spectaculaire-marchande ». Par-delà leurs différences et leurs différends, ces doctrines s’accordaient sur un point : endormir l’honnête homme – dans les deux sens du terme. Rédigées avec le scrupuleux souci de l’obscurité afin qu’on y vît une complexité, elles n’avaient sur moi qu’un effet soporifique, mais sur d’autres un effet bluffant. En son temps où sévissait déjà un ésotérisme scolastique, Montaigne notait que « la difficulté » est une « monnaie que les savants emploient, comme les joueurs de passe-passe, pour ne pas découvrir la vanité de leur art » et de laquelle « l’humaine bêtise se paye aisément ».

Frédéric Schiffter, « La métaphysique dévastée (Sur Cioran) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer