construire

Comprendre le sens d’un mot, c’est savoir quelles phrases il est possible de construire à partir de lui.

Jean Cohen, Structure du langage poétique, p. 105.

David Farreny, 20 mars 2002
montagnes

Ce que je reproche à Zbyszewski : sa vision des montagnes est plate.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 219.

David Farreny, 22 mars 2002
discothèque

Aller jusqu’au fond du gouffre de l’absence d’amour. Cultiver la haine de soi. Haine de soi, mépris des autres. Haine des autres, mépris de soi. Tout mélanger. Faire la synthèse. Dans le tumulte de la vie, être toujours perdant. L’univers comme une discothèque. Accumuler des frustrations en grand nombre. Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 14.

Élisabeth Mazeron, 24 sept. 2004
pédalo

Sur deux hauts tabourets non contigus, un couple désemparé, assis au bar, affalé plutôt, oreilles dans la paume de la main, coudes repliés, nez sur les verres, était trop las pour échanger encore les arguments flaccides d’une dispute éculée, filée au long d’un week-end raté. Une femme un peu ample, un peu blonde, un peu pas jeune, contemplait de sa caisse à travers les grandes baies nues, arrondies, le gris panorama et elle répétait pour elle-même, à de réguliers intervalles : « Ah non, ce temps, j’vous jure… » J’ai acheté là quelques cartes postales racornies, aux couleurs « faites main ». Je les ai maintenant sous les yeux. Elles rendent bien l’esprit du lieu. La salle à manger de l’hôtel, légèrement tremblée comme par un soupçon que peut-être on ne dort pas, est vraiment une vision de cauchemar. Mais la Promenade en pédalo sur le lac (circa 1953) fouaille mieux encore la mémoire hallucinée. Le pédalo est flanqué à chaque bord par la haute silhouette d’un cygne de bois, au bec orange dont l’orange glisse un peu vers les sapins du fond. La souriante promeneuse — et pourtant elle sait, cette femme sait quelque chose, et moi d’elle, de ses malheurs vers 1961 — a un chemisier bleu, son ami une chemisette verte et les cheveux très calamistrés. Passe à l’arrière-plan, sur l’embarcadère blanc du Chalet de la Plage, une jeune famille d’au moins cinq enfants. La plus jeune des petites filles porte une jupe du même vert cru que la chemisette du si bien coiffé pédaleur. On sent qu’on se battra pour elle, à la sortie de bals de village, les samedis soirs.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., pp. 63-64.

David Farreny, 30 juil. 2005
programme

C’est déjà un tel programme une femme aimée dans une vie d’homme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 11 mars 2008
rougit

Ce qui fait la dignité des êtres humains, c’est leur capacité à s’élever au-dessus des passions nées de l’égoïsme et à se placer sous l’empire de la loi morale. Il y a un abîme, autrement dit, entre le respect de soi et l’autosatisfaction. L’humanité n’est pas agréable : elle terrasse la présomption, elle humilie les penchants, elle est la part de nous-même qui rougit de nous-même. Or, scande l’époque, il ne faut plus avoir honte : la rougeur n’est pas l’afflux de l’humain, mais un symptôme pathologique.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 252.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
baroques

Louise ne sourit pas. Elle se lasse. Le va-et-vient, les couleurs agitées, les éclairages multicolores à toutes hauteurs, les allumages en transe, les néons qui s’éteignent, se répondent, clignent, clignotent, se réverbèrent, miroitent, se reflètent sur la chaussée qui les reçoit, les renvoie. Lumières en courses folles. Inintelligibles signaux sans ordres déclenchés. Fusées baroques d’une guerre inconnue. De bas en haut. De haut en bas. Mécanique régulière, verticale, mouvement, pluie perpendiculaire. Sur la foule hâtive en tous sens horizontale et déformée.

— Vertigineux, murmure Louise, allons donc nous asseoir, je n’en peux plus. Regarde donc ces mouvements perpétuels entrecroisés.

Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 45.

Cécile Carret, 18 mars 2010
accepter

C’est dès qu’on respire qu’on est sommé d’agir, exposé à pâtir. Aussi un accès infaillible, fulgurant nous est-il ménagé sur l’endroit précis où les heures d’or, les nôtres attendent notre venue pour commencer leur ronde. J’ai su où était ma place quand je n’avais pas le premier mot pour l’expliquer. Ç’aurait été sans importance si j’avais pu m’y établir. Je le cherche parce que ce qui est arrivé n’est pas ce qui aurait dû et qu’on peut toujours, à défaut, s’efforcer de comprendre, d’accepter.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 20.

Élisabeth Mazeron, 7 mai 2010
tut

« Pour un acquittement réel toutes les pièces du procès doivent se trouver anéanties, elles disparaissent totalement, on détruit tout, non seulement l’accusation mais encore les pièces du procès et jusqu’au texte de l’acquittement, rien ne subsiste. Il en va autrement dans le cas de l’acquittement apparent. L’acte qui le statue n’introduit dans le procès aucune autre modification que celle d’enrichir les dossiers du certificat d’innocence, du texte de l’acquittement et de ses considérants. À tous autres égards la procédure se poursuit. On continue à la diriger vers les instances supérieures et à la ramener dans les petits secrétariats comme l’exige la continuité de la circulation des pièces dans les bureaux, elle ne cesse ainsi de passer par toutes sortes de hauts et de bas avec des oscillations plus ou moins amples et des arrêts plus ou moins grands… On ne peut jamais savoir le chemin qu’elle fera. À voir la situation du dehors on peut parfois s’imaginer que tout est oublié depuis longtemps, que les papiers sont perdus et l’acquittement complet ; mais les initiés savent bien que non. Il n’y a pas de papier qui se perde, la justice n’oublie jamais. Un beau jour — personne ne s’y attend — un juge quelconque regarde l’acte d’accusation, voit qu’il n’a pas perdu vigueur et ordonne immédiatement l’arrestation. […] Alors évidemment adieu la liberté.

— Et le procès recommence à nouveau ? demanda K. presque incrédule.

— Évidemment, répondit le peintre, le procès reprend, mais il reste toujours la possibilité de provoquer un nouvel acquittement apparent ; il faut alors recommencer à ramasser toutes ses forces ; on ne doit jamais se rendre. »

Peut-être le peintre avait-il dit ces derniers mots sous l’impression du découragement que K. commençait à marquer.

« Mais, demanda K. comme pour aller au-devant de certaines révélations éventuelles du peintre, le deuxième acquittement n’est-il pas plus difficile à obtenir que le premier ?

— On ne peut rien dire de précis à cet égard, répondit le peintre. Vous pensez peut-être que les juges sont influencés en faveur de l’accusé par la seconde arrestation ? Il n’en est rien. Au moment de l’acquittement, les juges avaient déjà prévu cette seconde arrestation. Elle ne les influence donc pas. Mais leur humeur peut s’être transformée, une foule d’autres motifs avoir changé leur opinion sur le cas, il faut donc s’adapter aux nouvelles circonstances pour obtenir le second acquittement ; aussi demande-t-il en général autant de travail que le premier.

— Et il n’est quand même pas définitif non plus ? dit K., niant déjà lui-même d’un mouvement de tête.

— Évidemment, dit le peintre, après le second acquittement vient la troisième arrestation, après le troisième acquittement la quatrième arrestation, et ainsi de suite. Cela tient à la nature de l’acquittement apparent. »

K. se tut.

« L’acquittement apparent, dit le peintre, n’a pas l’air de vous paraître avantageux ? Peut-être préféreriez-vous l’atermoiement illimité. Dois-je vous expliquer le sens de l’atermoiement illimité ? »

Franz Kafka, « Le procès », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 402-403.

David Farreny, 21 avr. 2011
coin

C’était un petit établissement d’angle, avec deux tables sur le trottoir. Entre les rares voitures qui passaient, on entendait le bruit d’un torrent. Un type est venu s’asseoir à l’autre table, il a commandé un café. Pendant un moment, il n’y a eu que lui et moi dans ce coin de village. Je me suis demandé s’il entendait le bruit du torrent, s’il l’écoutait. Il avait l’air passif. Il n’avait pas de bagage avec lui, pas de porte-documents, pas de sac à dos, il était habillé de façon neutre, comme moi – j’étais parti un peu vite. Je me suis dit qu’il devait sortir de sa voiture, lui aussi. Il avait le nez gros, l’œil aiguisé, de temps à autre il se passait un index sur les lèvres, à l’horizontale. La cinquantaine, peu de mâchoire. J’ai tenu un quart d’heure comme ça, puis c’est devenu insupportable.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 15.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
revient

Réflexions sur le commandement : il n’y a pas de génies méconnus. Chacun trouve dans la vie la place qui lui revient. Nous sommes nés avec l’exact potentiel social que nous réaliserons…

Ernst Jünger, « 24 juin 1940 », Journaux de guerre (2), Gallimard.

David Farreny, 7 mars 2014
existence

On croit que la belle page de l’écrivain est le reflet d’une riche existence, alors qu’elle est cette existence accomplie.

Éric Chevillard, « mardi 4 février 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

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