afflux

Sous le couvert des arbres entremêlés, entre les rochers et les lianes, à Mauroux, incroyable profondeur du champ, comme sur les vieilles photographies sur verre, doubles, en relief quand on les regarde dans l’appareil.

Silence parfait le long du chemin, au retour. Il ne manque plus que notre disparition.

Les chiens sont gais et vigoureux, jeunes, contents d’être là, contents d’être avec moi, ravis. Ils furètent en remuant la queue, ils sautent d’un rocher à un autre, ils dénichent partout des bâtons qu’ils viennent déposer à mes pieds afin que je les lance pour eux. Tout est beau, les sentiers sont cordiaux, on dirait que l’air nous aime. Formidable afflux d’être. Il suffirait, pour décider d’être heureux, de rabattre toute espérance sur l’instant. Je n’ai pas d’amour, je n’ai pas d’argent, je n’ai aucun succès, je suis seul, seul, seul, mais ceci, ce maintenant, ce silence, cette paix, cette gravité transparente du paysage sont un émerveillement.

Renaud Camus, « samedi 18 octobre 1997 », Derniers jours. Journal 1997, Fayard, pp. 325-326.

David Farreny, 23 fév. 2003
abysses

Premièrement, Palafox peut rester jusqu’à quatre-vingt-dix minutes sous l’eau. C’est le privilège des amphibies, ayant le choix entre notre monde et les abysses, on les voit peu.

Éric Chevillard, Palafox, Minuit, p. 114.

David Farreny, 22 juin 2006
comment

Feu. Feu. Feu incessamment répété.

Enfin s’interposant, la morphine place ses étouffoirs et je puis regagner ma coupole (si je puis dire) et un espace, libre de feu. Je m’y endors.

Réveil.

Le feu reprend.

Feu. Feu. Feu. Feu incessamment feu. Feu pour moi, pour moi tout seul brûlant.

Kermesse inepte qui veut qu’on s’intéresse à elle, quand moi je voudrais passer outre. Ainsi nous restons sans nous entendre, moi avec elle, criant comme une sourde.

Visite.

Paroles qui volent. Paroles qui veulent. Paroles qui ne peuvent me distraire des torrents de feu. Paroles qui dévalent… tandis que le feu, énorme feu… il faudrait ne pas participer. Oui, mais comment ?

Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 863.

David Farreny, 5 juil. 2006
dissous

Nous ne mourons pas entièrement à notre mort : nous nous sommes graduellement dissous longtemps avant. Faculté après faculté, intérêt après intérêt, attachement après attachement, toutes ces choses disparaissent les unes après les autres ; nous sommes arrachés à nous-mêmes durant notre vie, chaque année qui passe voit en nous un être différent, et la mort ne fait que consigner dans la tombe le dernier fragment de ce que nous étions.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
klaxon

Langre accélérait sur la rocade, gonflé par les rayons du jour qui déclinait comme des forces. […] Langre roulait. Langre doublait, Langre tapotait parfois le klaxon qui poussait un cri de poule artificielle.

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 99.

Cécile Carret, 27 août 2009
blatéra

Un cyclone atypique.

C’était difficile à expliquer sans utiliser de termes.

Un cyclone, disons.

Ce qu’on avait pu observer, c’était des sortes de prémices.

À côté, le cyclone aurait une puissance, comment donner un ordre d’idée ?

Olaf le savait, on n’était pas dans une zone à cyclone. Bien. Mais là.

Bref, un cyclone.

Maintenant, dans combien de jours ? Combien de semaines ?

Un cyclone se déplace à la vitesse de.

Le plus souvent, du moins, parce que celui-ci.

La météo sur les dents, suivre ça sur les écrans, calculer la trajectoire.

Ne rien dire tant qu’on n’est pas sûr. Rien n’est prévu pour les cyclones sous nos latitudes.

Il se leva, tourna dans le peu d’espace libre, mains dans les poches, sourire. Il va falloir arrimer, prévint-il. Tout arrimer, nous avons vécu trop longtemps dans l’idée que l’air était calme. L’air n’est pas calme. Nous autres, météorologues, nous avons cette connaissance du désordre de l’air. Les nuages sont loin, n’est-ce pas, les nuages ne sont pas là, le soleil non plus, la lune non plus. Et pourtant, quelquefois.

Il sourit avec admiration.

Quelquefois, cyclone.

Il attrapa un éléphanteau luisant. J’ai déjà vu un ou deux cyclones, dans ma vie, à l’époque où je voyageais. Mon père aussi voyageait beaucoup. Ce petit objet vient de là-bas, et cet autre, et toute cette collection sur l’étagère. Mes parents nous ont fait beaucoup de cadeaux. Ils rentraient de voyage, ils ouvraient le coffre, ils disaient devinez ce qu’on rapporte. Et hop, hop, les cadeaux. Ça finit par s’entasser.

Il blatéra de rire.

La gueule, hoqueta-t-il, la gueule de mon chef quand je suis entré dans son bureau en disant cyclone. Mon chef est à trois mois de la retraite. J’entre dans le bureau, je sors le schéma, je lui mets ça sous le nez, je dis cyclone. La gueule ! La gueule !

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 96.

Cécile Carret, 27 août 2009
structure

Dans l’incident, ce n’est pas la cause qui me retient et retentit en moi, c’est la structure. Toute la structure de la relation vient à moi comme on tirer une nappe : ses redents, ses pièges, ses images […]. Je ne récrimine pas, je ne suspecte pas, je ne cherche pas les causes ; je vois avec effroi l’ampleur de la situation dans laquelle je suis pris ; je ne suis pas l’homme du ressentiment, mais celui de la fatalité.

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 84.

Élisabeth Mazeron, 9 déc. 2009
convaincre

Allée des orangers : les cloches dans la nuit lancent un petit espoir de convaincre, tellement dissous qu’il atteint toujours le cœur de la cible.

Gérard Pesson, « dimanche 5 janvier 1992 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 51.

David Farreny, 22 mars 2010
rêvaient

Un moment, ils restèrent ainsi, en position horizontale, dévêtus, couchés côte à côte sous leurs légères couettes d’été.

Puis une étrange lueur brilla derrière leurs paupières closes, et ils se levèrent, se quittèrent, traversèrent les murs, les années, s’en allèrent dans différentes directions, par des sentiers inconnus d’eux-mêmes, revêtus désormais de toutes sortes de costumes imaginaires.

Le miracle quotidien s’était accompli ; ils rêvaient.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 48.

Cécile Carret, 4 août 2012
Tchouktches

Pourquoi les Tchouktches ne quittent-ils pas leur terrible pays ? En comparaison de leur vie actuelle et de leurs désirs actuels, ils vivraient mieux partout ailleurs. Mais ils ne le peuvent pas ; car tout ce qui est possible arrive ; seul est possible ce qui arrive.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 330.

David Farreny, 28 oct. 2012
perpétrer

Et ces deux qui glissent comme des voleurs ? Qui gagnent sur la pointe des pieds la pénombre de leur chambre à coucher ? Pourquoi des gestes si furtifs ? Pourquoi cette honte ? Ces secrets ? Pourquoi, en résumé, a-t-on pris l’habitude d’aller se cacher pour baiser ? Quand on a la conscience tranquille, on ne cherche pas à se dissimuler… Il doit y avoir autre chose. D’autres causes, une autre raison… Reprenons Schopenhauer : si les amants, nous dit-il, semblent gênés de ce qu’ils vont faire, s’ils sont en effet honteux, ce n’est pas tant, comme on le croit, à cause des pauvres cochonneries auxquelles ils vont se livrer dans le noir, que parce qu’ils s’apprêtent malgré eux à perpétrer un mauvais coup, voilà pourquoi ils n’ont pas la conscience tranquille…

Etc., etc. Le péché ne serait donc pas dans l’acte lui-même mais dans sa conséquence reproductrice ? Et tout le monde le saurait sans vouloir le reconnaître ? La culpabilité, les sentiments d’angoisse, proviendraient de la transgression d’une injonction morale, certes, mais pas du tout celle qu’on croit ? Et par conséquent il n’y aurait pas d’acte plus élevé, plus moral, que celui consistant à s’abstenir de se prolonger ? D’où s’expliqueraient aussi les tentatives acharnées à travers les siècles pour essayer de prouver le contraire en pénalisant l’acte lui-même afin de resanctifier ses effets ?

Etc., etc.

Philippe Muray, Postérité, Grasset, pp. 407-408.

David Farreny, 6 déc. 2012

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