déchaussée

Je l’ai accompagnée jusqu’à la chambre. Je l’ai assise sur le lit. Je l’ai déchaussée. J’ai eu le courage de m’occuper d’elle. Je me suis dit qu’elle m’aimait, maintenant. Que c’était de l’amour. Qu’est-ce que je vais faire ? me suis-je dit. Viens, a-t-elle suggéré. Je l’ai prise. Ç’a été bien. Ça marchait.

Christian Oster, Une femme de ménage, Minuit, p. 118.

David Farreny, 13 avr. 2002
saigne

Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d’un bout à l’autre du monde et pour ne pas y tomber.

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 139.

Élisabeth Mazeron, 14 déc. 2003
certaine

Tous les jours il faudrait évoquer — par écrit, peut-être —, afin d’oublier aussi peu que possible, afin d’habiter la terre avec toute l’acuité dont nous sommes capable, afin d’adhérer autant que faire se peut à notre histoire et bien sûr à notre géographie, un lieu du monde, pas nécessairement d’une beauté particulière, mais qui, pour une raison ou pour une autre, et souvent sans raison que nous soyons à même de démêler, s’obstine en nous, revient dans nos rêves, hante nos demi-sommeils et nos songeries involontaires. Qu’il soit aujourd’hui certaine ferme haute, entre Hermitage Castle et le hameau de Burnfoot, près de Tudhope Hill, à l’est de la route qui mène de Langholm à Hawick, dans les Cheviots, aux confins de l’ancien Roxburghshire et du Dumfriesshire (aujourd’hui des Borders et du comté de Dumfries & Galloway).

Renaud Camus, « samedi 6 août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 414.

David Farreny, 20 janv. 2009
échelle

On le voit, ce ne sont pas des projets étriqués car il ne convient à Grégor que d’affronter de vastes dimensions. Très tôt, parmi celles-ci, lui vient la certitude qu’il ferait bien par exemple un petit quelque chose avec la force marémotrice, les mouvements tectoniques ou le rayonnement solaire, des éléments comme ça – ou, pourquoi pas, histoire de commencer à se faire la main, avec les chutes du Niagara dont il a vu des gravures dans des livres et qui lui semblent assez à son échelle. Oui, le Niagara. Le Niagara, ce serait bien.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 15.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
gazon

35. Sujets de poésies

La capitale. La puéraire. La bardane d’eau. Le poulain. La grêle. Le bambou nain. La violette à feuilles rondes. Le lycopode. L’avoine d’eau. La sarcelle. Le canard mandarin. Les massettes poussées çà et là, en automne. Le gazon. La liane verte. Le poirier. Le jujubier. Le « visage du matin ».

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 92.

David Farreny, 12 avr. 2011
air

Il tenait en main un plat d’œufs mimosa qu’il a posé sur la table en me saluant. Je l’ai trouvé plus petit que d’habitude avec son plat. Comme il ne disait rien de spécial, et qu’il avait l’air de considérer que je faisais partie des meubles, j’ai dit que j’aimais bien les œufs mimosa. Attends, a-t-il dit, tu vas voir le lapin, et il est retourné vers la cuisine. J’ai cru un instant qu’il allait m’apporter le lapin pour me le montrer, mais ce n’était évidemment pas ça. Je suis resté encore un moment dans la salle à manger, les mains dans les poches, de l’air du promeneur tranquille, mais qui se trouve face à une bifurcation.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 138.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
dissolvant

Désir d’un sommeil plus profond, plus dissolvant. Le besoin de métaphysique n’est que le besoin de la mort.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 254.

David Farreny, 28 oct. 2012
double

Pour un peu m’y eût manqué l’idiot ou l’ivrogne qui eût entravé çà et là cette fébrilité en titubant absurdement au beau milieu et en faisant perdre un instant à ce peuple suroccupé sa gravité et son application, jusqu’au moment où je m’aperçus que, m’arrêtant dans ma recherche d’endroits où je puisse étudier les deux livres, faisant demi-tour, m’écartant du chemin, palpant tel ou tel coin d’herbe pour savoir si l’on pouvait s’y asseoir, renversé contre un arbre, m’arrachant aussitôt à sa résine et trébuchant pour aller plus loin, j’étais à s’y tromper, le double de cet ivrogne.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 118.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
tour

Très vite, le premier tour est bouclé et, dès lors, on ne fera plus que suivre ses propres traces.

Éric Chevillard, « dimanche 17 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
catafalque

Je bois. À cause de quoi ? me demanderez-vous. Un regard trop sobre sur la réalité. Je suis vieux – j’ai les cheveux filasse et les dents jaunasses – et la vie est jeune, donc il faut me laver, comme une tache, m’effacer avec de la vodka. C’est tout.

Comment je commence mes matinées ? Levé de bonne heure, je vais au croisement et j’attends. Comme un chasseur à l’affût. Assez vite, ou parfois pas vite du tout, d’un côté ou de l’autre du carrefour apparaît une carriole remplie de caisses en bois. Dedans, bien fermé sous du verre et des bouchons, il y a de l’alcool. Je sors de mon immobilité et je suis la carriole, où qu’elle aille, jusqu’à l’arrêt et le déchargement. Voilà qui vous donne l’impression de marcher d’un pas solennel derrière un catafalque portant vos propres cendres.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 14.

Cécile Carret, 12 mai 2024

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