triviale

J’ai entrepris de rédiger ce Journal tout simplement comme expédient, moyen de sauvetage, de peur de déchoir et de sombrer définitivement dans les flots de la vie triviale qui déjà m’arrivent jusqu’aux lèvres. Mais il apparaît que même sur ce terrain je ne suis plus capable d’un effort complet. Oui, on ne saurait être un zéro, un néant toute la semaine et se mettre à exister soudain le dimanche.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 85.

David Farreny, 24 mars 2002
curatif

L’art, l’art authentique, dont l’objet est près de la source même de l’art (c’est-à-dire dans les lieux nobles et déserts — et certainement pas dans le vallon surpeuplé des effusions sentimentales), a dégénéré en notre sein pour tomber à un niveau qui est hélas celui du lyrisme curatif. Et, bien que l’on comprenne la soif de chercher une voie publique pour soulager un désespoir personnel, il faut rappeler que la poésie reste étrangère à une telle aspiration ; les bras de l’Église ou ceux de la Seine ont plus de compétence en la matière.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 252.

David Farreny, 13 avr. 2002
stratégiquement

Dans la guerre, les batailles ne peuvent être livrées qu’une à une et les forces ennemies ne peuvent être anéanties qu’unité par unité. Les usines ne peuvent être bâties qu’une par une. Un paysan ne peut labourer la terre que parcelle par parcelle. Il en est de même pour les repas. Stratégiquement, prendre un repas ne nous fait pas peur : nous pourrons en venir à bout. Pratiquement, nous mangeons bouchée par bouchée. Il nous serait impossible d’avaler le repas entier d’un coup. C’est ce qu’on appelle la solution un par un. Et en langage militaire, cela s’appelle écraser l’ennemi unité par unité.

Mao Tsetoung, « L’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier », Citations du président Mao Tsetoung, Éditions en langues étrangères de Pékin, p. 98.

David Farreny, 6 oct. 2002
toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
solipsiste

Il y a dans l’amoureux un solipsiste dépité.

Richard Millet, L’amour mendiant, La Table ronde, p. 43.

David Farreny, 5 déc. 2007
épigones

C’est aussi la raison pour laquelle les épigones rassurent, et ont souvent plus de succès que les écrivains qu’ils en viennent à imiter (la raison pour laquelle le public, à l’image des critiques, préfère Naissance des fantômes de Marie Darrieussecq à La sorcière de Marie NDiaye, ou encore fait un triomphe aux pièces de Yasmina Reza quand celle-ci a su transposer dans le monde du divertissement stérile les innovations dramatiques de Nathalie Sarraute) : ce n’est pas que ces épigones soient intrinsèquement moins difficiles à lire, c’est qu’ils sont infiniment moins inquiétants au regard du tissu de nos certitudes et de nos habitudes – quand ce tissu, chez les plupart des « lecteurs » ou plus exactement des consommateurs de livres, a acquis au fil des ans la rigidité amidonnée du linceul, cette rigidité qui leur fait trouver Nietzsche difficile, quand sa langue coule comme le miel jusqu’en sa traduction, et Philippe Labro facile, quand il est illisible à force de piéger le sens dans le marais inextricable des clichés les plus remâchés.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 21.

Cécile Carret, 26 août 2009
cliquetis

Un instant encore, elle s’est tenue devant la porte, les yeux perdus dans la cuisine encombrée de bagages puis elle s’est éloignée avec le cliquetis que font les ongles des chiens, sur le ciment, et je l’ai perdue de vue.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 16.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
chauve-souris

Et une chauve-souris jaillit d’un buisson, bruit de cuir.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 58.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
contre

Il y a quelque chose de spirituel qui peut être dit pour et contre toute chose. Un homme d’esprit pourrait, bien sûr, prendre le contre-pied de cette affirmation, et saurait même me la faire regretter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 290.

David Farreny, 13 janv. 2015
spectateur

Le pessimiste est un spectateur. L’optimiste, un spectacle.

Jaime Fernández.

David Farreny, 26 fév. 2024
fiches

Parfois, on écoute parler quelqu’un, on écoute vraiment, et ce qu’on entend a l’air d’avoir été écrit par trois ou quatre scénaristes différents qui auraient travaillé sans se concerter, comme si notre interlocuteur avait pioché un peu au hasard dans les fiches incomplètes qu’il tient sur sa propre vie.

Jérôme Vallet, « Semaine sainte », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
Limoges

C’est-à-dire que, si j’avais eu précédemment l’impression d’arriver quelque part en entrant dans Limoges, le fait d’y avoir rencontré Antoine Levasseur annulait plus ou moins la nouveauté de ma découverte, et, bien que je ne recherchasse pas précisément la nouveauté, bien que je fusse d’abord soucieux d’anonymat, j’avais nettement l’impression que, concernant Limoges, je devais abandonner l’espoir de m’y avancer en terrain vierge. Et même, pensais-je, de m’y faire en quelque façon mon trou, de m’y cacher, de m’y dissoudre. Antoine Levasseur, par son surgissement suivi de la pression de sa main, venait d’oblitérer la ville, il venait de l’invalider. Je pouvais aussi bien jeter Limoges, qui avait en somme déjà servi.

Christian Oster, Massif central, L'Olivier, p. 57.

David Farreny, 28 fév. 2024

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