invasion

Je trouve qu’un travail, ça doit rester purement alimentaire, sinon c’est l’invasion. Le type qui prend son travail à cœur, qui adore ce qu’il fait pour gagner sa vie, il est foutu, il n’a plus envie de rien faire d’autre que de gagner sa vie. Il ne peut plus aller dans les bars, lire des tas de livres, parler et baiser avec sa fiancée, jouer aux courses. Il s’intéresse à son travail. Il est foutu.

Philippe Jaenada, La grande à bouche molle, Julliard, pp. 10-11.

David Farreny, 14 avr. 2002
su

On peut ne s’être jamais su l’auteur de cette prose sourde.

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 7.

David Farreny, 7 mars 2004
lieux

J’ai peur que le livre de Jourda ne me donne une insomnie, comme tous les écrits qui évoquent précisément des lieux quelconques.

Renaud Camus, « lundi 5 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 157.

David Farreny, 30 juil. 2005
charme

Il tournait toute la journée dans l’hôtel, montait et descendait sans but, tentait d’accoster Charlotte, passait du temps à se cacher de Gilbert et de la mère. Il saluait cérémonieusement les clients qu’il croisait ainsi qu’ils le faisaient eux-mêmes, pour la plupart représentants de commerce. La pluie et le froid le dissuadaient de sortir. Et il répétait avec Charlotte les propos les plus insignifiants, sans déplaisir, s’adaptant au déroulement simple de ses pensées et pressant ici ou là un morceau de sa chair, d’un geste amical. Rien ne remplissait la tranquille existence de Charlotte que les travaux domestiques, la lecture de ses revues, le service fourni au président Alfred, d’ailleurs exigeant et capricieux. Qu’avait-elle besoin d’autre chose ? Indifférente à son aspect, elle s’habillait toujours des mêmes vêtements peu seyants.

Elle charme en moi ce que j’ai de moins bon, songeait Herman, de veule et de paresseux. Les heures s’écoulent privées d’énergie et de réflexion, et tout est égal, les petites infamies ou les bons mouvements. Quel repos, oui, que cette vie-là ! Quel repos que le village !

Marie NDiaye, Un temps de saison, Minuit, pp. 85-86.

David Farreny, 18 déc. 2005
reconquête

Ce que je préfère : qu’on me fiche la paix. En cela le mail a été une grande avancée par rapport au téléphone. Je n’ai pas de portable, presque tout ce qui importe passe au quotidien par des messages écrits, silencieux, que je lis quand j’en ai envie. Le mail a été une reconquête du silence.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 76.

Cécile Carret, 4 mars 2010
comparer

Le soir, la bibliothèque Sainte-Geneviève était mon refuge d’élection ; j’en goûtais le silence, la lumière, et cette bonne chaleur administrative dont mes tibias ont gardé l’attendrissement — du feu pour moi tout seul est un luxe dont je n’ai tâté qu’assez tard. J’y trouvais aussi de bonnes chaises au cuir patiné, et des lectures à l’infini. À la fermeture, je vaguais une heure le long des trottoirs, flânant aux terrasses, et, selon mon humeur ou mes ressources, procédais à l’expédition de mes affaires de cœur.

Je n’avais bien entendu pas de maîtresse ; toutes les raisons, y compris la raison même, me l’interdisaient. D’abord, sans être naïf, j’avais trop peu d’expérience pour être à mon aise avec les filles ; leur hardiesse m’effrayait, puis aussi la crainte salutaire de quelques possibles accidents. Enfin, promener des créatures voyantes sur le boulevard et amonceler les soucoupes en leur compagnie ne me procuraient aucune joie. Je n’étais certes pas un ermite, mais les paroles d’amour émises par des lèvres qui fleuraient la cigarette du baiser d’autrui n’étaient pas des excitants décisifs à mes flammes ; à les ouïr mon bonheur se traînait, et j’avais des lendemains pleins d’amertume à comparer l’actif de mes félicités au déchet de mes illusions.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 42-43.

David Farreny, 13 juil. 2010
cinquantaine

Quand on pense à la cinquantaine qui guette les premiers hippies, le cœur se serre.

Paul Morand, « 16 octobre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 635.

David Farreny, 23 sept. 2010

Mon unique sentiment de bonheur consiste en ce que personne ne sait où je suis. Que n’ai-je la possibilité de continuer toujours ainsi ! Ce serait encore plus juste que la mort.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 311.

David Farreny, 28 oct. 2012
devant

Je n’ai rien fait de toute la journée, avec une constance et une opiniâtreté de moine tibétain ; j’ai entendu sonner toutes les heures, et même les demies. Exactement comme dans ma jeunesse : le vide absolu. Sauf que je n’ai pas la vie devant moi. Je n’ai rien devant moi.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (2) », « Théodore Balmoral » n° 68, printemps-été 2012, p. 138.

David Farreny, 19 mars 2013
genre

Tous ceux que tu délaisses t’accusent d’inhumanité.

Ils croient qu’il suffit d’être quitté pour devenir le genre humain.

Philippe Muray, « 6 janvier 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 13.

David Farreny, 23 fév. 2024
mélanger

Il faudrait une vie pour être amoureux, une autre pour être érudit, une troisième pour être riche, et une autre encore pour être beau. Le drame est que nous sommes obligé de tout mélanger.

Jérôme Vallet, « Notations (4) », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024

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