situer

Non, les mots ne sont pas faits pour désigner les choses. Ils sont là pour nous situer parmi les choses. Si on les voit comme des désignations, on montre qu’on a l’idée la plus pauvre du langage. La plus commune aussi. C’est le combat, mais depuis toujours, du poème contre le signe.

Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Verdier, p. 249.

David Farreny, 2 sept. 2002
valoir

J’en reviens toujours à cette conviction-là : la parole impie par excellence, impie à l’égard de l’homme, c’est « Tu ne jugeras pas ». C’est seulement à partir du moment où l’homme transgresse cet interdit divin qu’il est vraiment homme ; à partir du moment où il écarte avec répulsion le « tout se vaut » que lui suggère éternellement la mort. […]

Juger c’est l’affaire d’une vie. Juger c’est distinguer et distinguer encore. Les homme ne sont égaux qu’en ce qu’ils ont de moins humain. Être homme, c’est être inégal. Valoir plus ou valoir moins. De toute façon : valoir. Ne vaut vraiment que ce qui ne vaut pas la même chose que tout le reste.

Renaud Camus, « samedi 14 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 5 sept. 2003
gourmander

La mendicité générale trouble plus profondément encore. On n’ose plus croiser un regard franchement, par pure satisfaction de prendre contact avec un autre homme, car le moindre arrêt sera interprété comme une faiblesse, une prise donnée à l’imploration de quelqu’un. Le ton du mendiant qui appelle : « sa-HIB ! » est étonnamment semblable à celui que nous employons pour gourmander un enfant : « vo-YONS ! » amplifiant la voix et baissant le ton sur la dernière syllabe, comme s’ils disaient : « Mais c’est évident, cela crève les yeux, ne suis-je pas là, à mendier devant toi, ayant de ce seul fait, sur toi, une créance ? À quoi penses-tu donc ? Où as-tu la tête ? » L’acceptation d’une situation de fait est si totale qu’elle parvient à dissoudre l’élément de supplication. Il n’y a plus que la constatation d’un état objectif, d’un rapport naturel de lui à moi, dont l’aumône devrait découler avec la même nécessité que celle unissant, dans le monde physique, les causes et les effets.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 153.

David Farreny, 29 nov. 2003
nombrements

Il y a une frénésie des nombres dans notre monde occidental, une fièvre d’appliquer les nombrements à tout.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 47.

David Farreny, 11 mars 2008
sorbets

Peut-être seraient offerts des sorbets, mais plus pour le nom que pour la chose.

Renaud Camus, Notes sur les manières du temps, P.O.L., pp. 312-313.

David Farreny, 12 mars 2008
même

Lire est terrible !

Quand j’entends d’un héros qui se dispose à penser : « … il plissa son front, et pressa ses lèvres avec gravité… » – je sens aussitôt mon visage, devant, se déformer de cette même grimace cogitative ! Ou : « … un sourire altier joua avec le coin droit de sa bouche… » – mon Dieu, je passe alors pour un sot ; car je serais bien incapable de produire tel ineffable sourire altier, et encore moins avec le seul coin de ma bouche ; encore un don que le destin m’a refusé.

Arno Schmidt, « Que dois-je faire ? », Histoires, Tristram, p. 75.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
négative

Nous pouvons être d’avis qu’il y a de l’entendement dans le comportement des étoiles les unes par rapport aux autres ; mais elles relèvent de la répulsion morte. […] L’armée des étoiles est un monde formel, parce que seule cette détermination unilatérale dont il vient d’être question s’y fait valoir. […] On peut vénérer les étoiles en raison de leur calme, mais elles ne sont pas à mettre, quant à la dignité, au même rang que l’être individuel concret. Le remplissement de l’espace est l’éruption d’une multitude infinie de matières, mais c’est là seulement la première éruption à pouvoir divertir le regard. Cette éruption de lumière est aussi peu digne d’admiration qu’une éruption en l’homme ou que la multitude des mouches. Le calme de ces étoiles intéresse l’âme de plus près, les passions s’apaisent lorsqu’on intuitionne ce calme et cette simplicité. Mais ce monde n’a pas, quand on se tient au point de vue de la philosophie, l’intérêt qu’il a pour la sensation. Qu’un tel monde s’étende en tant que multitude dans des espaces incommensurables, cela ne signifie absolument rien pour la raison ; c’est ce qui est extérieur, vide, l’infinité négative.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 375.

David Farreny, 28 fév. 2011
carénée

Il y aurait donc un hangar pour les troncs, un autre pour les pierres, un troisième, peut-être, pour les créatures les plus remarquables que, l’expérience aidant, je ne manquerais pas de tirer de l’eau ou des bois, carpes centenaires, grosses truites dont je me flattais de surprendre la méfiance légendaire, brochets géants à la gueule dentue, carénée, qu’on hale sur la berge, au plus froid de l’hiver, que je comptais naturaliser, comme les sangliers qui viennent herser les champs de maïs et de pommes de terre, la nuit, les renards, les fouines, certains oiseaux richement colorés, des serpents. Ces anticipations n’ont jamais pris corps mais elles m’ont aidé à supporter la fadeur et la contrariété, l’incertitude de cette époque.

Je ne saurai jamais le goût de la vie maniaque, pétaradante, sous la casquette à pont, dont les contours étaient déjà nettement tracés lorsque, pour mon malheur, je suis tombé amoureux.

Pierre Bergounioux, Trois années, Fata Morgana, p. 32.

David Farreny, 24 sept. 2011
cursus

Son suicide signe la fin de cursus de l’autodidacte.

Éric Chevillard, « vendredi 24 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 juin 2016

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