exception

Si vous pratiquez l’exception à une règle, la plupart des gens croiront que vous ignorez la règle. Si vous pratiquez l’exception à l’exception à une règle, ce qui consiste, dans la majorité des cas, à opérer un retour à la norme, la plupart des gens croiront que vous ignorez l’existence de l’exception.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 24.

David Farreny, 13 avr. 2002
subreptice

Ce serait une raison — il en est d’autres — à l’envie subreptice de crever en qui j’ai trouvé, de bonne heure, une très attentionnée, douce et persuasive compagne.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 72.

David Farreny, 6 août 2003
époque

Je sais bien que tout homme pensant tient son époque pour la plus misérable, mais je dois avouer que je ne suis pas exempt de cette illusion.

Arthur Schopenhauer, Petit bréviaire cynique, texte inédit publié par le Magazine littéraire, numéro 328.

Guillaume Colnot, 6 janv. 2004
visages

Tant de visages ressemblent à tant d’autres visages. Visages de régiment, de foule, visages pour l’énumération et l’hécatombe. Visages qui n’ont pas rencontré le poing. Visages qui ne savent exprimer que des sentiments communs. Visages qui ne connaissent que la moue et l’écarquillement. Visages qui diront ho ! puis qui diront ah ! et jamais autre chose. Visages sans vestiges. Visages qui n’ont jamais rencontré le poing.

Éric Chevillard, « Une rencontre », Scalps, Fata Morgana, p. 72.

David Farreny, 14 déc. 2004
néant

Sans doute n’est-il de mysticisme vrai que celui de l’agnostique. L’athée soustrait du vide tout un champ du possible, le croyant l’encombre d’un trop-plein qui interdit le jeu, l’errance, le labyrinthe sacré de l’incertitude. La foi n’offre d’autre vertige que la formidable indifférence de Dieu, que la religion, d’ailleurs, s’épuise à démentir pour le fidèle. À celui-là seul qui ne sait pas — et pourvu qu’il ait le courage d’explorer sans faiblir son insondable ignorance, d’en scruter tous les gouffres et d’en affronter toutes les ombres, fussent-elles dernières —, à celui-là seul est promise la pleine expérience du néant.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 285.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
bâtiment

À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Vous marchez dans des salles vides, qui vous renvoient l’écho de vos pas. L’atmosphère est limpide et invariable ; les objets semblent statufiés. Parfois vous vous mettez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 44.

David Farreny, 18 sept. 2006
immensément

Le temps coulait fondu par le feu des fatigues.

Je paressais immensément,

épelant d’A à Z le Larousse prodigue

en faciles enchantements.

Raymond Queneau, Chêne et chien, p. 42.

David Farreny, 4 mars 2008
roulé-boulé

Je bondis ; clenchai et me précipitai par la porte ; tête à droite : rien ! Tête à gauche : la porte d’entrée ne venait-elle pas de retomber dans la serrure ? ! Je fis trois pas (je mesure un mètre quatre-vingt-cinq et j’ai de longues jambes !) – et vis disparaître quelque chose de brun vis-à-vis dans le verger. […]

Chasse au brun : les branches m’offrirent une leçon d’escrime dans les règles de l’art, quarte, tierce, seconde latérale. Un soleil douteux tachait partout.

Traque dans les chemins des labours. Après cent mètres nous étions arrivés au bord des rochers, et mon brun se précipita la tête la première dans les noisetiers. Je dégringolai la paroi en roulé-boulé ; donnai de la souplesse à mes articulations – mondieu, ça allait de plus en plus vite ! – fus roulé dans le ruisselet, collé contre le tronc d’un sapin ; et me rétablis bras écartés : un glissement en contre-haut ; les buissons se mirent à taper sauvagement autour d’eux ; je me ramassai et amortis de tout mon corps le ballon brun ; au visage de fille, à la tête sablonneuse : nous nous sommes tenus ainsi un moment. Le temps de souffler.

Assis l’un à côté de l’autre. « Oui, je l’ai » avoua-t-elle haletante, à propos de ma clé.

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 71.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
lune

Tout près du clocher de l’église Saint-Étienne et d’un seul coup, comme si on avait appuyé quelque part sur un bouton secret, la lune a surgi entre les nuages, et le choc de sa puissante et lugubre clarté a comme fait vibrer toute la ville endormie.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 169.

Cécile Carret, 4 août 2012
arque

Feu de bois, sois mon chat ; étends-toi sur moi.

Gratte ta gorge et gronde et fredonne.

Tantôt tu bouscules dans les coins cachés les ombres qui font peur.

Tantôt tu roules et tu détends ton ventre fourré d’ambre

Où les mains te taquinent. Allonge ton corps languide et ronronne.

Ou bien arque ton dos, les yeux remplis de lueurs d’or,

Effraye-toi, aie peur de moi et de ma chambre qui bat les secondes.

Nous pourrions être seuls, plus que nous le sommes, mais jamais étrangers.

Nous sommes armés contre tous les dangers.

Bondis sur le silence, bondis sur la souris

Des menus chagrins, trop fine et trop lustrée.

Chasse de chez moi les brisures de rêves

En roulant du fond de ta gorge ton tambour de guerre

Arque, crache, fouis ; mais ne bondis pas sans me le dire

Sur le matin au ciel de plumes tigrées

Car j’aime toujours les jeunes vents bleus ; car toujours

Le matin je nourris de ma fenêtre la grive musicienne.

Robin Hyde.

David Farreny, 21 juil. 2014
cuirasse

Ce qui frappe d’abord dans le paysage de Suède et de Norvège : le roc, la cuirasse géologique de la presqu’île, le bouclier scandinave (on ne saurait mieux dire) partout présent. Non pas le rocher : le roc ; tout ce qui pouvait s’arracher, s’extraire, s’araser, la glace l’a arraché, extrait, arasé du squelette gratté, brossé, récuré jusqu’à l’os. Il ne reste que le noyau profond mis au jour, la roche-mère intacte, inaltérée. La forêt — claire, sans belle venue — pousse sur des coupoles et des plaques de blindage qui partout apparaissent à nu ; dans les îles de Stockholm, où un léger filigrane de neige soulignait encore en avril les jointures cyclopéennes des quartiers de roc, les maisons semblent surplomber le lac du haut d’un bordé de dreadnought. Épaulement rabotés, dos de baleine, écailles de tortue, ce sont les formes que le granit ici répète à satiété : pas de sol, pas même une pellicule de terre de bruyère : on dirait que toute la Scandinavie, ses ballasts expurgés par la fonte des glaciers énormes, émerge de la mer comme l’échine d’un sous-marin étanche et boulonné. Nulle trace de remblai, nul colmatage ; le long de la rive basse du golfe de Bothnie, le dallage bossu plonge sous la mer comme le pavé d’un gué ; même les petits lacs se ceignent d’un anneau de granit nu ou de porphyre, comme la flaque d’un bénitier.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 231-232.

David Farreny, 20 oct. 2014
typique

Le manche de la cognée, c’est typique, fut lui-même un enfant abattu.

Éric Chevillard, « samedi 11 mars 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024
dilemme

Le temps favorise à la longue les nations enchaînées qui, amassant des forces et des illusions, vivent dans le futur, dans l’espoir ; mais qu’espérer encore dans la liberté ? ou dans le régime qui l’incarne, fait de dissipation, de quiétude et de ramollissement ? Merveille qui n’a rien à offrir, la démocratie est tout ensemble le paradis et le tombeau d’un peuple. La vie n’a de sens que par elle ; mais elle manque de vie… Bonheur immédiat, désastre imminent — inconsistance d’un régime auquel on n’adhère pas sans s’enferrer dans un dilemme torturant.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 17 mars 2024

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