civil

Quand un homme s’est mis en alexandrins il a beaucoup de peine à rentrer dans le civil.

Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 100.

David Farreny, 20 mars 2002
ignorance

À mon sens, la plus grande faveur que le ciel nous ait accordée, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas causé trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors, cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix d’un nouvel âge de ténèbres.

Howard Phillips Lovecraft, L’appel de Cthulhu.

Guillaume Colnot, 17 juil. 2002
quelqu’un

Colline et arbres fruitiers, et puis, là-bas vers le haut, sous les pommiers, trois épaves de voiture dont une brûlée, que quelqu’un garde.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 35.

David Farreny, 24 janv. 2003
écartés

Il me suffit d’écrire, comme on jette un mot dans une bouteille, sur l’océan des âges, comme on trace des lettres sur le sable, sans y penser, parce qu’on a trouvé sur la plage un bâton ou un caillou, comme on creuse des noms et des dates sur des tombeaux, en attendant la mousse ou l’armaguedon. C’est bien. Personne ne vous entend, ne vous lit, ne vous répond, sauf deux ou trois promeneurs volontairement égarés, parce qu’ils avaient comme vous le goût des chemins et des phrases écartés. Il n’en faut pas plus ; surtout si l’un ou l’autre de ceux-là, un jour, dit à quelqu’un avoir rencontré une inscription curieuse, au cours de ses pérégrinations, une page qui l’a intrigué, un message d’un ton particulier. Ainsi nous serons inscrits dans le grand réseau des signes et des questions, même si nous n’y sommes qu’un accent de travers, des guillemets qui se ferment sans s’être jamais ouverts, une virgule, une apostrophe, des points de suspension…

Renaud Camus, Le château de Seix. Journal 1992, P.O.L., p. 259.

Élisabeth Mazeron, 19 nov. 2003
naturel

Après tout ce dont nous avons parlé, que nous avons senti ensemble pendant ces jours, il est bien naturel que je vous aime. Il faut restituer ce mot dans son ancienne grandeur : c’est pour cela que je le prononce ; de loin : parce que j’ai pris sur moi toute ma solitude ; de près : parce que ceux que j’aime m’aident infiniment à la supporter.

Rainer Maria Rilke, « 26 novembre 1907 », Lettres à une amie vénitienne, Gallimard, p. 10.

David Farreny, 10 fév. 2007
trophée

La bête était évidemment morte, la grosse touffe abandonnée de sa queue balayait les pieds des enfants, pesamment rousse sous le ciel vert. Je pressai encore le pas. Ce trophée d’un autre âge que des chasseurs nabots apportaient vers moi, l’offrande qu’ils m’allaient en faire, cette fine bête carnassière livrée à des mouflets d’arrière-campagne, le bonnet rouge vif, les capuchons vieillots, l’affairement borné des porteurs et les danses sottes des autres qui gambadaient autour, tout cela décupla ma scélératesse, la fêla, l’affûta du malaise sans quoi elle est défectueuse. J’étais dans un fabliau obscène.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
paresse

Atteint de paresse, on se met à tarir. Les entrepreneurs qui, dans la conscience qu’ils ont de leur responsabilité sociale, s’évertuent à engager et à occuper des paresseux se ruinent, car une fois que quelqu’un est devenu paresseux, il n’est plus bon à rien. « Le paresseux ressemble à une pierre remplie d’ordure » (Livre de Sirac, 22, I). « Le paresseux dit : il y a un lion dehors ! Je serai tué dans les rues ! » (Proverbes 22, 13). « La porte tourne sur ses gonds. Et le paresseux sur son lit. » (Proverbes 26, 14).

On sait peu de choses de la paresse, étant donné que le paresseux manque de l’ambition et de la force nécessaires pour pouvoir informer sur son état d’une manière capable d’impressionner durablement une personne travailleuse. Le paresseux ne voit pas l’utilité de s’expliquer à quelqu’un, pas plus que celui qui se noie, ou, plus généralement, celui qui meurt, n’entreprend des efforts dignes d’être signalés pour formuler avec des mots aimables et aisément compréhensibles ses réflexions sur la noyade, sur le fait de mourir, qui pourraient être tout à fait intéressantes pour des personnes extérieures. […]

Le travail accompli ne rend pas un paresseux heureux. Une fois que l’on a commencé à se laisser aller, on est étonné de la profondeur de l’abîme dans lequel on tombe. Nulle part un sol où s’écraser et se fracasser. On tombe, on tombe, tout devient plus sombre, l’air devient plus froid, plus humide, on tombe.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 126-129.

David Farreny, 11 mars 2010
remanier

Les chambres des hôtels de congrès sont grandes et, dans les salles de bain, il y a des miroirs grossissants. Les congressistes y examinent la peau de leur visage et découvrent combien elle est impure. Ils se mettent à la nettoyer. Le soir, au premier cocktail, ils ont des taches rouges sur le nez, les joues et le front. Pour tout congressiste, la transpiration est un fardeau particulièrement gênant. Comme on se tient exclusivement dans des espaces clos, le corps n’est jamais vraiment à l’air. Une pellicule poisseuse recouvre le dos et la poitrine. La sueur a une odeur étrangère. On se douche chaque fois qu’on en trouve le temps. On est là, en caleçon, à regarder par sa fenêtre scellée les pistes d’atterrissage et les voies ferrées. Notre propre corps nous fait assez peu plaisir. Et puis ces chaussettes de congressiste ! Ces caleçons de congressiste ! Les cheveux sur notre crâne sont ternes. On peut voir à la télévision combien les jeunes dents sont bien ancrées dans les jeunes gencives. On peut y observer aussi des pénis luisants de jeunes hommes, comme ils sont enfoncés dans de juteux vagins de jeunes femmes, puis ressortis, renfoncés, ressortis, renfoncés, tandis que des gouttes tombent tout autour. Les congressistes relisent ce qu’ils ont préparé chez eux pour le dire ici. Ça leur paraît inadapté. La météo n’est pas telle qu’ils se l’étaient imaginée chez eux, l’hôtel non plus, rien dans leurs documents ne correspond à la réalité, il faudrait tout remanier.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 236-237.

David Farreny, 11 mars 2010
dans

Attends, a-t-il dit, il faut que je te montre la maison, et, même si je n’avais pas très envie d’une visite guidée, je me suis senti bien dans sa phrase.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 101.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
sache

« Je t’aime, est-ce que ces mots ne sont pas les plus absurdes qu’on puisse dire ? Cette déclaration de guerre, cette assignation à résidence, ce langage pénal… »

Il avait désamorcé cette parole, un peu plus tard. C’était avec une petite amie nommée Laurence, ils avaient déjeuné ensemble avant de remonter chez lui, et là, alors qu’il se donnait en elle, s’acharnait en elle avec délices, il l’avait regardée dans les yeux et lui avait dit : « Finalement on peut dire je t’aime, dans la seconde où c’est vrai, et pour les raisons précises et concrètes qui font que c’est vrai. Là, je t’aime. » Il appuyait ces mots d’un mouvement plus fort des reins, plus appuyé — là, je t’aime. C’était comme dilapider ce mot, le « claquer », le gaspiller exprès, à cause du ventre, des cuisses, de ce corps nu sous le sien dans la sueur, la salive et ce jour-là un peu de sang. C’était se venger de ce mot, le réduire enfin à la vérité incontestable et circonscrite du désir, afin qu’une fois, au moins une fois, on sache ce qu’il voulait dire.

François Taillandier, Time to turn, Stock, p. 190.

David Farreny, 30 août 2013
île

ÎLE est un pronom personnel transgenre. Pour le ou la naufragé(e), la solitude sera moins cruelle.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 57.

Cécile Carret, 4 fév. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer