autrement

Musique, merveille qui sûrement précéda le feu. On en avait autrement besoin.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 365.

David Farreny, 13 avr. 2002
pencher

Nous sommes juste au-dessus des Fenestrelles. Mieux vaut bien sûr ne pas trop se pencher. Pericoloso sporgersi. Curieux que personne n’ait dit cela en mourant.

Renaud Camus, Le département de l’Hérault, P.O.L., p. 232.

David Farreny, 2 mars 2006
sus

Il est cinq heures vingt-cinq, on voit encore un morceau de soleil reflété sur l’hôtel d’en face, j’ai les yeux rouges d’avoir tant pleuré, je suis toujours malade de cette grippe étrange, sans fièvre, qui dure maintenant depuis deux semaines. Me voici restitué à ma rive natale. Exténué, ayant perdu tout espoir dans le seul domaine qui m’importait vraiment, je me sens comme un condamné à mort inexplicablement gracié, dont la vie désormais est en sus de la vie : un temps luxueux, inespéré, gratuit, dont il n’aurait pas la responsabilité.

Renaud Camus, « samedi 12 mars 1977 », Journal de « Travers » (2), Fayard, p. 1550.

David Farreny, 1er mars 2008
tous

Les vaches vivent à l’horizon dans l’immanence des champs. Loin de nous. Loin de tous.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., p. 15.

David Farreny, 6 mai 2008
moment

Je songe qu’il est juste et bon que ce soit à Jean que le sort ait fait cette faveur. Il manquerait à ses jeunes années ces bonheurs inattendus, énormes, immérités qui nous semblent, non seulement dans l’instant mais plus tard, lorsqu’on s’est rangé à la triste loi des jours et qu’on se les rappelle, à peine croyables. Que le premier geste aille comme négligemment au but alors que deux heures d’efforts opiniâtres ne m’ont rien livré, voilà qui trahit l’intervention d’un esprit bienveillant, du dieu bénin, munificent qui marche aux côtés des petits enfants. À moi aussi, il a fait quelques largesses invraisemblables, quand ce fut le moment.

Pierre Bergounioux, « jeudi 31 mars 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 195.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
détour

Tel est le fond de la triste nature que j’ai touchée en dotation pour le détour par la vie.

Pierre Bergounioux, « dimanche 1er avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 294.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
gloire

Ma Marinette allait, venait, défilait comme chaque jour le long de la terrasse où se faisaient bronzer les clients, et vraiment l’industriel Jina avait raison, elle était à croquer ce jour-là ; mais comme elle passait tout près des premiers adorateurs du soleil, je vis les femmes se retourner sur elle en étouffant un rire, et plus elle approchait de moi, plus je les voyais qui se tordaient de rire ; les hommes tombaient à la renverse, se couvraient le visage d’un journal, faisaient semblant de s’évanouir ou préféraient fermer les yeux ; puis Marinette me dépassa et je vis, sur un de ses skis, juste derrière ses chaussures, un énorme caca, gros comme un presse-papiers, comme dans le beau poème de Jaroslav Vrchlicky… En une seconde, je sus que c’était là le second chapitre de la vie de Marinette, de qui il est écrit qu’elle devra supporter sa honte sans connaître sa gloire. Quant à l’industriel Jina, en apercevant ce que Marinette avait fait sur ses skis, quelque part derrière les pins rabougris du Mont-d’Or, il se trouva mal et en resta encore tout paralysé l’après-midi tandis que, jusqu’à la racine de ses cheveux, une rougeur fleurissait sur le visage de Marinette. Les cieux ne sont pas humains et un homme qui pense ne l’est pas davantage, j’écrase dans ma presse paquet après paquet, au cœur de chacun d’eux un livre est ouvert à la page la plus belle, je travaille à ma presse mais je suis en pensée avec Marinette ; ce soir-là, nous avions noyé jusqu’à mon dernier sou dans le champagne, le cognac ne nous suffisait plus ; en défilant devant la société avec son caca sur ses skis, Marinette, dans l’image qu’elle donnait d’elle, avait dérapé. Je passai toute la nuit à lui demander un pardon qu’elle me refusa et, fière et droite, elle quitta l’hôtel Renner, accomplissant ainsi les mots de Lao-tseu : connaître sa honte et soutenir sa gloire. Un être comme elle est un exemple sous le soleil…

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 40.

Cécile Carret, 13 juin 2011
m’

Mon intelligence des choses progresse plus vite que moi ; je m’époumonne les mains en cornet à lui crier de m’attendre. Elle se moque de moi et me détruit. Vingt ans de vie passionnée, parfois heureuse, et consciente, m’ont juste permis d’inviter chez moi ceux qui – ou plutôt ce qui – m’égorge.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 141.

Cécile Carret, 28 juin 2012
seconde

Nous en étions à nous frôler les mains, ce qui était tout et rien en même temps. La nuit d’hiver, à quatre heures de l’après-midi, me donnait la trouble impression de flotter dans le temps. Il me semblait aussi que je pouvais être heureux, au moins momentanément, que je me le devais bien, même. L’inconnue le pensait-elle aussi ? Son visage las et marqué, néanmoins encore beau, quitterait-il le temps ordinaire pour retrouver sous mes lèvres une seconde, une éphémère jeunesse ? Je n’ai pas cherché à le savoir.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 402.

David Farreny, 27 sept. 2012
devenir

Faire croire à des gens d’esprit que nous sommes ce que nous ne sommes point est plus difficile, dans la plupart des cas, que de devenir vraiment ce que l’on veut paraître.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 283.

David Farreny, 13 janv. 2015
évites

Les religions instituées, visibles, ne sont plus là que pour te faire croire que le tout de la religion se résume en elles, et que tu n’as donc rien à redouter si tu les évites.

Plus la société sera dévote, plus elle aura besoin de ces vieux panneaux « obscurantistes » si commodes pour cacher les nouveaux autels.

Il y a tant et tant d’illusions qui n’ont pas encore été défrisées !

Tant et tant de croyances qui n’ont pas été réfutées !

Tant et tant d’espoirs qui n’ont pas été déçus !

Philippe Muray, « 11 novembre 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 233.

David Farreny, 29 fév. 2024
agrément

Les penseurs tristes ne nous guérissent pas de l’inconfort d’être nés. Leur esprit aère le nôtre en en chassant le Sérieux. Les penseurs de la joie, qui ne sont pas forcément joyeux, nous vantent le rire. Les penseurs tristes qui ne sont pas pour autant des penseurs de la tristesse nous rendent le sourire. Le rire des premiers dépend du hasard. Le sourire des seconds vient de leur humour, qu’il soit froid, noir ou terroriste — raison pourquoi nous avons toujours de l’agrément à rouvrir leurs ouvrages au moindre coup de mou.

Frédéric Schiffter, « préface », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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