coussin

Un chat sait être le coussin de soi-même.

Guillaume Colnot.

David Farreny, 20 mars 2002
laissera

On part après-demain matin. On m’a cassé la dent qui me sinusitait. La moitié est restée dans la mâchoire, et comme on n’a pas de chien, c’est elle qui restera vigilante la nuit, et le jour elle m’empêchera de me laisser aller. Participation avec la nature, admiration coulante, n’y comptons pas. Elle ne laissera passer que le très bon, le solide. Il en sera de même, d’ailleurs, pour les ennuis et les dangers.

Tout de même, il faut que je puisse la tenir en échec.

Elle est forte de sa poche à pus.

Bien, mais j’emporte un bistouri, moi.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 206.

David Farreny, 22 mars 2002
vigne

L’aspect des vignes revêt partout un caractère extrêmement désordonné en raison de la technique de propagation en usage : le marcottage ou provignage. La plantation initiale d’une parcelle s’effectue grâce à des boutures le plus souvent non racinées et plantées dans des trous ou des fossés assez espacés. Ensuite, les ceps sont multipliés par l’enfouissement dans le sol des sarments jugés vigoureux, lesquels sont séparés de la souche-mère après enracinement. On aboutit ainsi à une densité allant de 10 000 à 40 000 ceps à l’hectare. Un tel procédé, comme on peut s’en douter, donne une physionomie très opposée à celle des vignes actuelles bien peignées. Au bout de quelques décennies, même si la plantation initiale est disposée en lignes, le plus grand désordre règne dans la vigne, qui peut même être tout encombrée de bois mort. La conduite est basse, et dans ce cas, la vigne s’appuie sur des échalas, ou bien haute, et alors elle court souvent, à la façon méditerranéenne, d’arbre en arbre. Beaucoup de vignes sont, en effet, complantées d’arbres fruitiers variés, pratique qui nuit évidemment à la qualité de la production, tout comme l’édification de haies arborées entre les parcelles. Dans les vignes-jardins, deux techniques élaborées, probablement héritées de l’Antiquité, sont utilisées : la conduite sur treillage en berceau constituant une allée ombragée et sur treillage en toiture ou pergola recouvrant toute la surface d’une parcelle.

Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Tallandier, p. 144.

Guillaume Colnot, 13 sept. 2002
bonheur

Je retenais mon pas malgré la canicule. Les murs réverbéraient la chaleur qu’ils avaient absorbée depuis le début de la matinée. Le silence était celui, légèrement caverneux, chargé d’échos, des nécropoles. Il soulignait encore l’absence de la rumeur habituelle, comme les rues évacuées, les magasins fermés, les janissaires absentés. Peut-être est-ce alors que j’ai connu le bonheur le plus pur, s’il réside moins dans la possession d’une chose quelconque que dans la disparition de toutes celles qui traversent continuellement notre naturel penchant.

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 53.

David Farreny, 7 mars 2004
débruti

Il faut briser là, revenir en arrière, trouver, s’il existe, un angle différent pour aborder la fin d’un monde, la destruction de soi, la perte de tout et l’effort pour renaître. D’avoir fait fausse route me vaut un accès d’intense tristesse. Avec ça, les fatigues mal ressuyées de juillet, la chaleur m’accablent. Me fais à moi-même l’effet d’un objet pesant et mal débruti, d’un instrument grossier, impropre à l’usage auquel je prétends le faire servir.

Pierre Bergounioux, « samedi 6 août 1994 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 459.

David Farreny, 12 déc. 2007
colorées

Parce qu’il y a plein de choses partout, colorées, curieuses, intéressantes et qu’il est, qu’il serait plaisant de faire partager à quelqu’un au sort de qui l’on s’intéresse l’intérêt qu’on leur trouve. C’est mieux si l’agrément qui s’attache au temps qui passe, à ce qui arrive est partagé. De même qu’on supportera mieux le froid, le chagrin s’il y a un tiers qui trouve que ce n’est pas à rien qu’ils s’appliquent. À sa manière, il contribuera à supporter ce qui est lourd, cruel et ce le sera beaucoup moins.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 135.

Élisabeth Mazeron, 17 juin 2010
on

J’avais décidé de délaisser l’école. L’apprentissage me répugnait de plus en plus. Je n’arrivais plus à assimiler de nouvelles matières et n’améliorais aucune de mes connaissances anciennes. C’est ainsi : soudain, le goût de l’étude se disloque, la curiosité s’émousse, on commence à décliner et on ne s’attriste pas. On reste assis en face d’une brassée d’épinards, on surveille du persil et on s’en contente. Quand je dis on, on aura compris que je parle de Yasar Dondog, c’est-à-dire de moi et de nul autre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 104.

Cécile Carret, 14 sept. 2010
repos

Je commençai par admirer ; puis savez-vous l’effet que cela me produisit ? je m’endormis. Étendue sur la pierre humide, couverte par la froide vapeur de l’eau, bercée par ce tonnerre, je goûtai là quatre heures du repos le plus profond, et j’y dormirais je crois encore, si, les chevaux étant arrivés, on ne m’avait enfin découverte dans la retraite que j’osais partager avec une énorme grenouille aux yeux calmes, naïade de la cascade, tout étonnée de recevoir une mortelle.

Léonie d'Aunet, « Lettre III. Drontheim », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 87.

David Farreny, 8 sept. 2011
personnellement

Je vous invite à regarder cet homme comme celui qui connaît personnellement toutes les lisières d’arbres, tous les buissons et tous les poteaux d’Europe.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 167.

Cécile Carret, 22 juin 2013
certitude

S’inféoder, s’assujettir, telle est la grande affaire de tous. C’est précisément ce à quoi le sceptique se refuse. Il sait pourtant que dès que l’on sert on est sauvé, puisqu’on a choisi ; et tout choix est un défi au vague, à la malédiction, à l’infini. Les hommes ont besoin de point d’appui, ils veulent la certitude coûte que coûte, même aux dépens de la vérité. Comme elle est revigorante, et qu’ils ne peuvent s’en passer, alors même qu’ils la savent mensongère, aucun scrupule ne les retiendra dans leurs efforts pour l’obtenir.

Emil Cioran, « La chute dans le temps », Œuvres, Gallimard, p. 565.

David Farreny, 28 fév. 2024
ordre

Si l’on écarte l’origine mythique de la notion de monde, on s’aperçoit qu’elle procède de la longue habitude des humains d’observer la régularité de quelques phénomènes naturels tels que, par exemple, la rotation des planètes, le cycle des saisons, l’alternance du jour et de la nuit, la succession de la vie et de la mort, etc. Or non seulement la perception répétée de ces faits imprime en leur imagination la tenace illusion d’un ordre universel, mais elle les détourne de la cruelle perception du hasard qui tantôt unit les conditions pour qu’une chose existe, tantôt les désunit pour qu’elle n’existe plus ou, tantôt encore, ne les réunit pas pour qu’elle n’existe jamais. À cause du hasard, une chose est ou n’est pas. À cause du hasard, le monde est impossible. De vastes systèmes de phénomènes en interaction apparaissent sans doute dans l’univers, mais cela n’engendre ou n’implique ni équilibre ni stabilité. Puis, donc, que le hasard produit et détruit ou, aussi bien, ne produit pas, comment le définir autrement que comme la pire des causes – causarum pessima ? Mais l’hallucination cosmique est si puissante que, dès qu’un événement jugé inhabituel intervient dans l’univers, au lieu de le considérer dans sa normale contingence, les humains s’empressent d’y voir une exception qui confirme une règle ou une loi : une catastrophe, ou un miracle, relève forcément d’un pourquoi – une cause – et d’un pour quoi – une finalité. Quand un Bergson, venant au renfort de cette superstition populaire, déclare que « le désordre n’est qu’un cas particulier de l’ordre », cela témoigne bien de la force avec laquelle s’exprime le refus de constater et d’admettre le contraire : que l’ordre n’est qu’une forme accidentelle et, même, miraculeuse, du désordre. Et quand les humains, en dépit de l’évidence, s’obstinent à nier le caractère aléatoire de la régularité des phénomènes, cela trahit leur impuissance à se délivrer de l’angoisse de vivre dans le chaos. Un cosmos, tel qu’ils l’imaginent, existerait, ils ignoreraient la crainte comme l’espérance et ne s’adonneraient ni à la religion, ni à la métaphysique – ni à la politique –, expressions de leur désir malheureux de monde, ou, dirait Freud, de leur narcissisme brisé sur les épreuves de la réalité.

Frédéric Schiffter, « Le monde comme désir et comme illusion », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

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