stagnations

Je connais de grandes stagnations. Non point (comme font bien des gens) que j’attende des jours et des jours pour répondre, d’une carte postale, à une lettre urgente. Non point (comme personne d’ailleurs ne fait) que je repousse indéfiniment l’action facile qui me serait utile, ou l’action utile qui me serait agréable. Il entre plus de subtilité dans ma mésintelligence avec moi-même. C’est dans mon âme même que je stagne. Il se produit en moi une suspension de la volonté, de l’émotion, de la pensée, et cette suspension dure des jours interminables ; seule la vie végétative de l’âme — la parole, le geste, l’allure — peut encore m’exprimer aux autres et, à travers eux, à moi-même.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 151.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2002
sens

Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 110.

David Farreny, 13 oct. 2006
pitié

je fume une cigarette

tout nu dans mon lit

la nuit est tombée

le réveil fait tic-tac

j’entends des pas dans l’escalier

des voix qui s’engueulent

des bruits de radio de télé

un robinet qui coule

l’amour attend blotti

dans mes deux couilles

j’ai envie de baiser ce soir

mais le téléphone sonne absent

la ville aura-t-elle

pitié de moi ?

William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 95.

David Farreny, 20 déc. 2009
rebutées

Une dame, dans un petit préfabriqué, m’accueille gentiment et m’invite à faire mon marché. Ce sont de véritables montagnes de fer qui se dressent devant moi et je dois peser soixante kilos tout habillé. Je commence par récupérer, près de l’entrée, des chutes rondes et triangulaires de fer noir, encore huileux, qui provient d’une fabrique de crics. Le sol est jonché de fortes tiges rondes filetées, rebutées. Ensuite, par une sorte de canyon aux parois de ferrailles enchevêtrées, vers l’arrière du terrain qui couvre un ou deux hectares. Je repère deux barres de coupe de faucheuse, l’une encore assujettie à l’engin, l’autre libre, tordue. Mais le montage des doigts, à écrou noyé, m’interdit de les prélever. Il faudrait une clé spéciale, à picots et, d’ailleurs, la rouille a soudé le tout. De lourdes installations industrielles ont été démantelées et entassées là, poutrelles, bennes, grandes roues crantées, inamovibles masses de métal. Il y a aussi des bulldozers, des trains de chenilles, des pelles aux dents énormes, un troupeau de camions militaires sous camouflage, enlisés, renversés dans la boue craquelée, tendrement appuyés l’un à l’autre, joue contre joue, des amoncellements de tire-fonds, de douilles d’obus de petit calibre avec les gaines d’alimentation. Plus loin, sous un enchevêtrement de poutrelles, des canons automatiques de 20 mm dont le percuteur a été maté d’un coup de chalumeau. Quel gâchis !

Pierre Bergounioux, « lundi 15 juillet 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, pp. 256-257.

David Farreny, 26 janv. 2012
humour

Je défie quiconque de trouver de l’humour à qui que ce soit très longtemps.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 24 mars 2012
nonobstant

Il lui dit : « On dirait que tu es doué pour inventer le mieux dans le pas génial. »

Nonobstant la brutalité de l’attaque, Dimitri est bouleversé par une telle franchise. En même temps, il se rend compte qu’il est homosexuel. C’est beaucoup pour une seule journée, heureusement que l’ascenseur est lent.

On les apercevra au loin, dans les semaines qui suivent, batifolant dans la campagne, escaladant les arbres, marchant délicatement sur l’eau des rivières.

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 24.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
équitable

— En combien de temps terminez-vous un cercueil ?

Sur un ton professionnel :

— Le modèle en sapin est cloué en quatre heures. Quelle rapidité pour un appartement éternel !

— Et un berceau, un berceau à bascule ?

— En un temps identique, à peu près. C’est équitable.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 68.

Cécile Carret, 12 juin 2013
sage

Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?

Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

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