Souvenir de ce coin de Brescia où je distribuais des soldi aux enfants sur des pavés analogues, mais en plein jour. Souvenir d’une église de Vérone où, absolument abandonné, j’entrai à contrecœur, poussé seulement par la légère contrainte des devoirs imposés au touriste et par la lourde contrainte qui pèse sur un homme en train de se perdre à force d’inutilité ; j’aperçus là un nain plus grand que nature, recroquevillé sous un bénitier, je me promenai un peu, m’assis et ressortis, toujours à contrecœur, comme si dehors une église pareille à celle-ci était adossée à sa porte.
F. a annoncé son arrivée par quelques lignes. Je ne la saisis pas, elle est extraordinaire, ou plutôt, je la saisis, mais je ne peux pas la tenir. Je cours autour d’elle en aboyant comme un chien nerveux autour d’une statue, ou encore, pour montrer l’image contraire, tout aussi vraie : je la regarde comme l’animal empaillé contemple l’être humain vivant paisiblement dans sa chambre. Demi-vérités, millièmes de vérités. Seul est vrai le fait que F. viendra probablement.
L’homme est un immense marécage. Quand l’enthousiasme le prend, c’est, pour le tableau d’ensemble, comme si dans un coin quelconque de ce marais une petite grenouille faisait pouf dans l’eau verte.
Pourquoi les Tchouktches ne quittent-ils pas leur terrible pays ? En comparaison de leur vie actuelle et de leurs désirs actuels, ils vivraient mieux partout ailleurs. Mais ils ne le peuvent pas ; car tout ce qui est possible arrive ; seul est possible ce qui arrive.