Nous sommes très solides. C’est vrai. Beaucoup plus solides que nous ne pensons, ou disons l’être. Indéracinablement attachés à notre prétendue présence sur cette planète qui tourne sans en avoir l’air. Nous sommes solides, mais il suffit qu’une lettre — rien moins que d’affaires — tarde à venir se faire déchirer, pour que s’écroule, comme termitée, notre armoire affective. Nous ne changeons pas d’amis comme de chemises, non, mais c’est la note à payer qui nous retient. Note sensible. Car nous souffrons assez peu, avec raison, de salir nos cols de chemise. Mais nos cols d’amitié, quel martyre ; quel salut à l’absurdité de se croire aimé, de croire qu’on aime. Que la susdite lettre arrive enfin, que l’ami avoue avoir été très pris, et allez, on réembarque. Quel jeu de massacre ! Nous nous préparions déjà, insectes que nous sommes, à ne plus devoir compter sur ce compagnonnage, nous avions déjà prévu les sens interdits, les routes désormais impraticables, et puis voilà. Tout est à refaire.
Il y a… notre corps, pile, usine, dont nous ne pouvons prévoir ni les décisions ni les choix. Nous transbahutons un secret absolu, et qui s’en croit maître mourra par intérim. J’entends, vivra de même.
C’est un peu comme si, la mort nous attendant dans l’escalier, il fallait vite trouver ce qui va constituer un souvenir de la vie dans l’éternité de la planche.