œuvre : Trois hommes seuls, Christian Oster
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Quand j’avais reconnu sa voix au téléphone, j’avais ressenti immédiatement le besoin de m’asseoir, et lorsque, à peine plus tard, elle m’avait parlé de cette chaise, j’avais mis quelques secondes à comprendre de quelle chaise elle parlait et que c’était de celle où j’étais assis. Il s’agissait d’une chaise en bois que je n’utilisais guère et qui se trouvait près de moi quand j’avais décroché le téléphone, très basse, lourde, au dossier rigide quoique correctement incliné, qu’elle n’avait pas emportée avec elle et qui lui venait de son père.

Marie ne m’avait pas parlé d’emblée de cette chaise, donc, elle m’avait d’abord demandé de mes nouvelles – ce n’étaient pas des nouvelles que nous nous envoyions sur nos cartes postales –, et j’avais été embarrassé par sa question parce que pour lui parler de moi j’eusse d’abord eu besoin qu’elle me parlât d’elle, sachant que si elle allait bien et qu’elle gardait le contact avec moi ça me suffisait pour aller bien moi-même – c’était du moins l’idée que je me faisais des choses.

Je n’avais pas, comme on dit, refait ma vie, je me tenais dans le souvenir de Marie, logé avec elle à cette place qu’elle occupait à distance et que je préférais ne pas céder.

Je lui avais répondu que je me portais aussi bien que possible alors que j’en étais encore à redécouvrir sa voix, dont le surgissement, associé à son nom – c’est moi, Marie –, m’avait aussitôt vidé de mes forces et poussé à m’asseoir sur cette chaise qu’elle n’avait pas encore évoquée.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit.

David Farreny, 5 mai 2025

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