Je feins le plus vif intérêt à l’interminable récit de ce raseur. J’écarquille les yeux, j’arrondis les lèvres, j’opine du chef, je lève les mains au ciel, dans l’espoir que mes expressions surjouées dignes du cinéma muet finiront en effet par le faire taire.
Éric Chevillard, « samedi 9 février 2013 », L’autofictif. 🔗
Je préfère aussi ne pas non plus.
Éric Chevillard, « lundi 23 décembre 2024 », L’autofictif. 🔗
Pourquoi avons-nous tant besoin, régulièrement, de voir la mer, si ce n’est parce qu’elle est à la fois changeante incessamment et cependant toujours même, et qu’elle nous offre ainsi – seule à le faire – le repos sans l’ennui ?
Éric Chevillard, « mercredi 12 février 2014 », L’autofictif. 🔗
Toute photographie est prise depuis l’origine du monde — il s’agit en effet de savoir ce qu’il est devenu. On se glissait d’ailleurs sous la jupe des premiers appareils à trépied pour y voir plus clair.
Éric Chevillard, « lundi 31 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗
Je tombe peu à peu dans l’oubli. Presque plus personne déjà ne se souvient de mon enfance.
Éric Chevillard, « mercredi 9 mars 2016 », L’autofictif. 🔗
Ses feuillets manuscrits sont autant de papiers gras et de torche-culs qui jonchent désormais le petit coin de littérature où il s’est oublié. Qui va se dévouer pour passer derrière avec la pelle et le râteau ?
Éric Chevillard, « lundi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗
Je ne connaissais pas l’angoisse de la page blanche, et voici qu’elle me visite. Sueurs froides, tremblements. Tant de gens écrivent aujourd’hui que je crains la rupture de stock.
Éric Chevillard, « jeudi 3 avril 2025 », L’autofictif. 🔗
Seule la personne qui partage notre vie finit par comprendre à quel point il nous est pénible d’être nous-même, jusqu’à partager finalement ce sentiment. Encore un miracle de l’amour…
Éric Chevillard, « mardi 1er avril 2025 », L’autofictif. 🔗
Quelle triste ironie ! À peine eut-on enfin admis que les Noirs aussi avaient une âme que l’on découvrait que les Blancs n’en avaient pas non plus.
Éric Chevillard, « vendredi 4 octobre 2024 », L’autofictif. 🔗
C’est à se demander parfois si les objets immuables qui nous entourent, accrochés à nos murs ou posés sur nos étagères depuis des années, n’attendent pas là patiemment qu’on crève.
Éric Chevillard, « mardi 18 octobre 2016 », L’autofictif. 🔗
Cette phrase me plaisait décidément beaucoup et je décidai de m’installer dedans pour y vivre désormais. Tout y était sans contradiction à la fois harmonieux et surprenant, inédit mais ordonné. Comme je m’y sentais bien ! Puis sont arrivés les lecteurs.
Éric Chevillard, « lundi 5 novembre 2018 », L’autofictif. 🔗
Tant que la phrase n’est pas écrite, tout reste à vivre.
Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2019 », L’autofictif. 🔗
J’allongeai ma phrase, multipliant les détours et les obscurités sans parvenir à le semer et je me sentis alors gagné par l’épouvante.
Éric Chevillard, « mercredi 29 mai 2024 », L’autofictif. 🔗
On en foule toujours le même côté. Les pavés sont pipés.
Éric Chevillard, « lundi 18 novembre 2024 », L’autofictif. 🔗
N’est ineffable ou indicible que la chose dont j’ignore le nom. Et même, avec les mots dont je dispose, je peux élaborer la périphrase qui colmatera cette lacune lexicale. Le sentiment, assez commun, de vivre ou d’éprouver des expériences que le langage humain ne saurait décrire relève plutôt, je le crains, d’une exaltation proche de celle qui nous fait appréhender parfois, croyons-nous, l’existence de Dieu ou la présence des morts, une espèce d’illusion mystique qui a pour unique fondement notre incapacité à nous résoudre à n’être que ce que nous sommes, des animaux mortels, certes fines mouches et rusés renards, mais plantés dans nos corps et dans ce monde sans issue.
Éric Chevillard, « mercredi 13 novembre 2013 », L’autofictif. 🔗