Le répertoire de répliques et de phrases toutes faites court-circuite notre expérience – la formule l’empêche de se développer selon notre loi propre, elle la confisque, la banalise, fait d’elle une généralité : par sa faute, nous ne vivons jamais rien d’inédit (et c’est pourquoi il faut écrire).
Éric Chevillard, « mercredi 16 mai 2018 », L’autofictif. 🔗
Pour manger frais ton pain rassis, fais un petit effort de mémoire.
Éric Chevillard, « mercredi 17 décembre 2014 », L’autofictif. 🔗
Bien résolu à mourir, j’ai lesté mes poches de galets et je me suis jeté à l’eau. Mais j’ai ricoché à la surface, ricoché, ricoché — je ricoche encore.
Éric Chevillard, « lundi 29 avril 2024 », L’autofictif. 🔗
Les gens ne fument plus ; ils ne se demandent plus de feu. Les gens ont tous une horloge et un GPS sur leur téléphone ; ils ne se demandent plus l’heure ni le chemin. Cette fois, je crois bien que nous n’avons plus rien à nous dire.
Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2024 », L’autofictif. 🔗
Je gis pauvrement, tu gis misérablement, il gît pitoyablement, nous gisons lamentablement, tandis que vous Gizeh, ô grands pharaons !
Éric Chevillard, « jeudi 23 août 2018 », L’autofictif. 🔗
Séparées à la naissance, ces jumelles se retrouvèrent à l’âge de 40 ans grâce à un dossier conservé par les services sociaux. Et là, grande émotion, si elles ne se ressemblaient en rien au physique, elles se découvrirent avec stupeur un goût commun pour la musique, les voyages et le cinéma !
Éric Chevillard, « vendredi 29 avril 2016 », L’autofictif. 🔗
Les choses souvent répétées ne sont plus réellement vécues, elles sont jouées, elles sont mimées – ainsi de certaines habitudes sur les lieux de vacances familiers. Nous nous y livrons sans engagement, presque sans conscience, fantômes en visite déjà dans notre propre existence.
Éric Chevillard, « vendredi 28 avril 2023 », L’autofictif. 🔗
Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si je n’avais pas été là pour prendre la fuite !
Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2019 », L’autofictif. 🔗
La goutte d’eau fait déborder le vase dont le trop-plein s’écoule dans le fleuve impassible.
Éric Chevillard, « samedi 4 janvier 2025 », L’autofictif. 🔗
C’est le seul moyen de fuir la société tout en faisant bonne impression, aussi je ne la laisse à personne : la vaisselle.
Éric Chevillard, « mercredi 2 mars 2016 », L’autofictif. 🔗
Ils évoquent leur enfance comme un temps de plénitude — heureuse ou non —, comme si leur conscience alors jamais ne se dédoublait, qu’ils ne prenaient jamais de distance avec les situations, qu’ils ne se voyaient pas vivre. J’étais ceci, j’étais cela. J’étais fasciné par. Je pouvais rester des heures à. Plus vraisemblablement ont-ils tout oublié et se voient-ils aujourd’hui, de si loin, avec le regard que les adultes portaient sur eux à l’époque. Enfant deux fois incompris.
Éric Chevillard, « vendredi 13 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗
Non seulement un enfant non voulu quelquefois naît de tes accouplements mais, par la suite, il lui arrive encore de surgir inopportunément quand tu baises.
Éric Chevillard, « mardi 16 juin 2015 », L’autofictif. 🔗
Je vis à fond l’instant passé.
Éric Chevillard, « mardi 2 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗
Chaque mot de la phrase doit défendre contre tous les autres – qui la menacent – l’intégrité de sa signification.
Éric Chevillard, « vendredi 5 avril 2013 », L’autofictif. 🔗
À l’article de la mort, il demande à ce que ses obsèques aient lieu dans la plus stricte intimité. Songerait-il encore à se masturber en un moment pareil ?!
Éric Chevillard, « jeudi 16 mai 2024 », L’autofictif. 🔗