Il s’agit d’une femme grande, un peu plus que moi, au corps délié, au visage d’une beauté régulière, plutôt rare, mais moins rare que régulière, au point que le regard ne s’y accroche pas, s’y perd, dérape dans une sorte de transparence ou de pureté avant de se retenir à la saillie de l’œil, extraordinairement bleu et dont on se demande, naturellement, s’il abrite quoi que ce soit derrière sa liquidité, à moins qu’à la pureté ne se substitue ici une dureté, je ne sais pas. Elle porte une veste un peu longue, de type trench, ses cheveux sont serrés dans un foulard rouge. Je cherche Diane Eckart, me dit-elle, je crois savoir qu’elle habite là, vous êtes peut-être son mari.
J’ai déjà entendu ce genre de voix. Registre médian, peu d’intonation, une égalité à quoi la pureté (ou la dureté) du regard ne se raccorde pas, et qui rend un effet de collage. Sauf que cette femme ne dissimule rien, ne joue pas.
Nous ne sommes pas mariés, dis-je. Diane est absente. Vous la cherchez pour quoi ?
Christian Oster, Le cœur du problème, L'Olivier.
Tout ce que j’ai à dire tient dans le comment dire.
Éric Chevillard, « dimanche 9 février 2025 », L’autofictif. 🔗
Il faisait un temps je le jure
À ne pas mettre nez dehors
Ni chien ni chat ni d’aventure
Âme qui vive. C’est alors
Que je crus retrouver l’étude
Un moment perdue elle avait
L’œil froid de la blanche altitude
La démarche d’un roitelet
Je lui saisis la main la bouche
Sans qu’elle osât rien pour m’aider
À prendre feu dans l’escarmouche
Elle était vierge à s’en tuer.
Sans mot dire il vaut mieux se taire
En ce genre de vérité
La suite fut longue à défaire
Oh je n’y parvins qu’à moitié.
Ce n’était Avril ni Septembre
Ne me souviens plus mais le ciel
Levait l’ancre. Membre après membre
La nuit dégusta notre miel.
Elle avait l’œil limande et biche
D’une qui n’a plus peur du loup
La mer battait comme une affiche
Collée en fraude par un fou.
Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard.
Homme qu’un désastre habite
Mes vœux de nulle saison
Ne se soucient. Ma prison
Ce corps qu’un feu noir excite
Rien n’en peut changer le sort
Sinon toi, mort de ma mort.
Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard.
Une halte encore la dernière
J’avais couché dans un petit hôtel
Au bord de la route nationale
Allez me dire le nom du village
Je confonds tous les lieux
Tous les visages
Je risque de me faire gifler
Par les femmes que je regarde
Comme si je les avais déjà vues quelque part
Mais où madame aidez-moi je vous prie
Les femmes ne comprennent pas qu’on puisse
Ne les prendre que pour nos semblables
Ça les vexe, c’est bien curieux.
Georges Perros, « Ken Avo », Poèmes bleus, Gallimard.
Parfait ambidextre écrit de la main droite, efface de la main gauche.
Éric Chevillard, « samedi 1er février 2025 », L’autofictif. 🔗
Nous savons que le rêve n’est bien souvent qu’une combinaison aléatoire de situations vécues. Dans la somnolence du grand âge se réorganisent peut-être les événements de toute une vie et possiblement alors dans le bon ordre cette fois. Tout coule, tout roule, tout s’explique enfin. De là ce ravissement bouche bée du moribond dans son rocking-chair.
Éric Chevillard, « vendredi 31 janvier 2025 », L’autofictif. 🔗
Ton acte le plus volontaire, le plus résolu, amorce une chaîne de conséquences au bout de laquelle tu danses comme un pantin démantibulé.
Éric Chevillard, « jeudi 30 janvier 2025 », L’autofictif. 🔗
Nous ne voulons pas « être très courageux » ! Nous voulons être en bonne santé ! Ce n’est pas la même chose !
Olivier Pivert, « Ce que nous voulons », Encyclopédie du Rien. 🔗
Rester au lit n’est pas une attitude responsable. On le fait pourtant, mais quand on se réveille, on se dit que ça y est : à être aussi peu productif, on va encore perdre des « points de pibe ».
Olivier Pivert, « Oblomovisme », Encyclopédie du Rien. 🔗
Vous pouvez démontrer par a plus b à une personne que tout ce qu’elle fait — à commencer par exister — est absurde, elle n’en continuera pas moins. Elle persistera à vivre, et tout aussi absurdement. Il vaut mieux abandonner l’affaire et la laisser se ridiculiser.
Olivier Pivert, « Sans espoir », Encyclopédie du Rien. 🔗
Un souvenir, c’est toute la tendresse de l’impossible.
Jérôme Vallet, « Le roman du trombone l'après-midi », Georges de la Fuly. 🔗
Carpe diem, c’est ma devise. Je profite à fond du moment présent pour pleurer de nostalgie et appréhender l’avenir.
Éric Chevillard, « lundi 13 janvier 2025 », L’autofictif. 🔗
La goutte d’eau fait déborder le vase dont le trop-plein s’écoule dans le fleuve impassible.
Éric Chevillard, « samedi 4 janvier 2025 », L’autofictif. 🔗
Tendres regards, doux sourires, mains qui se cherchent. Les pensées s’accordent, les voix se répondent musicalement. Échanges sincères, profonds, espiègles. Confidences précieuses. Rires complices. Émotion. Ravissement. Parfaite intelligence des cœurs. À la fin, conséquemment, il se plante en elle et ahane.
Éric Chevillard, « vendredi 27 décembre 2024 », L’autofictif. 🔗