Il y a des gens qui ont une bibliothèque comme les eunuques ont un harem.
Victor Hugo, Littérature et philosophie mêlées, Tredition.
L’aphorisme ne coïncide jamais avec la vérité : il est soit une demi-vérité, soit une vérité et demie.
Karl Kraus, Dits et contredits.
Mon amour-propre a péri dans le naufrage de l’intérêt que je prenais aux hommes.
Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort, Maximes et pensées.
Si les regards pouvaient enfanter ou tuer, les rues seraient remplies de femmes enceintes et jonchées de cadavres.
L’amitié étant incompatible avec la vérité, seul est fécond le dialogue muet avec nos ennemis.
Et puis, de toute manière, il faut mettre en pratique l’art de rompre : avec les autres, avec soi-même, avec la vie. Toutes nos ambitions, tous nos désirs, toutes nos émotions ne sont que des leurres grâce auxquels la comédie tire en longueur sans aboutir à une solution.
Roland Jaccard, Topologie du pessimisme, Zulma, p. 31.
« Si nous ne détruisons pas nos pensées, nos pensées nous détruiront », écrivait Stirner. Le seul sens que peut avoir notre vie, c’est de dissoudre le fantôme du monde. Si une pensée te ronge, débarrasse-t-en en la pensant jusqu’au bout, conseillait encore Stirner. Consume-la en la faisant intensément travailler : elle aura bientôt disparu et tu seras libre. Et l’illusion détruite.
Roland Jaccard, Topologie du pessimisme, Zulma, p. 10.
Il faudrait savoir résister à la tentation de la rencontre, remettre toujours à plus tard cet instant où s’abolit la magie du rêve et où la réalité reprend ses droits. Nous n’aimons que des fantômes.
Mais il y a la curiosité. Mais il y a le sexe. Mais il y a la trahison. Mais il y a, plus que tout, le désir d’être déçu. Qui dira jamais le charme inaltérable de la déception ? Qui dira jamais le bonheur de se retrouver seul dans sa chambre, convaincu que le meilleur n’était pas grand-chose et que médire de l’existence, surtout quand elle vous comble, procure une jouissance que même les jeunes filles sont rarement en mesure de vous donner.
Roland Jaccard, Topologie du pessimisme, Zulma, p. 18.
Le moment était venu de lui demander d’écarter ses cuisses, de lui caresser le sexe, de mordiller ses seins, de la pénétrer à la condition qu’elle le veuille vraiment. Parfois, je feignais de ne pas y parvenir. Il lui fallait encore faire des efforts. Plus d’ardeur. Plus de perversité. Enfin, j’étais en elle. Je sentais chaque contraction de son vagin. Cela pouvait durer des heures. Il faut l’avoir vécu pour le croire. Même moi, parfois, je croyais avoir rêvé. Impossible que Candy m’ait rejoint. Impossible que j’aie joui si intensément. Impossible qu’on puisse se livrer pendant des années à un jeu aussi absurde. Et d’ailleurs, qui se jouait de qui ? Et dans quel dessein ?
Roland Jaccard, Ma vie et autres trahisons, Grasset, pp. 25-26.
Je collectionne leurs photos. L’une pose volontiers nue, l’autre en écolière japonaise. Je pourrais vivre en sybarite, mais je m’éreinte à écrire des livres et à travailler pour des éditeurs. Cela ne me dissuade pas de prôner le détachement et de prêcher l’abstinence. La conduite de ma vie est à l’opposé de ma philosophie. Mais le pape n’est-il pas celui qui croit le moins en Dieu ? Et l’athée militant n’est-il pas l’homme pieux par excellence ? Par une bizarre configuration des choses, nous ne pouvons exprimer que des idéaux qui nous sont étrangers.
Roland Jaccard, Ma vie et autres trahisons, Grasset, pp. 18-19.
Quand j’étudiais la philosophie à l’université, nombre de condisciples s’entichaient de Deleuze, de Baudrillard, de Derrida, de Barthes, de Foucault, de Lyotard. Je vous jure que je n’invente rien !
Frédéric Schiffter, « Fun memory », Philosophe sans qualités. 🔗
Il faut bien que passent les jours pour que les mauvais s’en aillent et que de meilleurs arrivent, pensais-je naïvement.
Frédéric Schiffter, « Incipit sans suite », Philosophe sans qualités. 🔗
J’aurais aimé m’approcher de cette lycéenne ; j’aurais aimé reconnaître Van ; j’aurais aimé que le temps fût vraiment aboli. Elle m’aurait embrassé ; je lui aurais proposé d’aller au cinéma Atlantic voir Yoyo de Pierre Étaix ; ensuite, nous aurions peut-être dîné chez mes parents. Comme la mort semble lointaine, invraisemblable, quand elle ne frappe pas ! Comme le passé semble beau quand il est aboli ! Nous nous apitoyons sur des fantômes que nous n’aimions pas et nous ressuscitons les morts pour mieux nous délecter du charme morbide du présent. Ce n’est pas la vie qui est sordide ou attrayante, ce sont les tableaux que nous en tirons. On ne se méfiera jamais assez de la littérature.
Roland Jaccard, « Mon père - Ce mercredi 22 septembre 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.
Gilbert Sigaux note à propos de Casanova (dont j’ai emporté avec moi les Mémoires pour prolonger le plaisir que m’a donné le livre de Gabriel) qu’il « se défait dans la solitude, mais ne supporte pas les liens ». Formule admirable qui ne s’applique pas qu’à Casanova. Je me demande parfois si je vieillirai seul.
Roland Jaccard, « Ce lundi 20 juillet 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.
Je poursuis ma lecture des épreuves de Ivre du vin perdu au François Coppée tout en savourant un espresso. Moment délicieux. Moment que j’aimerais retenir. Parfois, il me semble incroyable de penser qu’un jour je ne serai plus là. Le temps nous est compté ; nous sommes des sursitaires ; et pourtant nous nous abîmons dans la routine comme si nous avions l’éternité devant nous.
Roland Jaccard, « Ce dimanche 12 juillet 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.