Combien ont-ils fourni un effort équivalent au vôtre ? Vous devriez mener quelque temps une existence végétative, et vivre en parasite de votre passé. Quel dommage que je ne puisse vous communiquer un rien de ma paresse ! Vous avez tout simplement une vitalité de forçat. Aussi absurde que cela puisse vous paraître, je suis plus sage que vous, si sagesse signifie abstention : je n’y ai aucun mérite, puisque je suis né dans la stérilité.
Je sais comment faire l’escroc intellectuel, comment épater avec des livres qu’on n’a pas lus ou comment impressionner par des paradoxes, mais je n’ai rien utilisé de tout cela. Sur le plan psychologique, je suis un introverti ; les gens ne peuvent pas me faire plaisir. Il y a à Bucarest quelques personnes qui tiennent à moi ; je te prie de me croire : leur sympathie ne me fait pas du tout plaisir.
Pour que la Russie s’accommodât d’un régime libéral, il faudrait qu’elle s’affaiblît considérablement, que sa vigueur s’exténuât ; mieux : qu’elle perdît son caractère spécifique et se dénationalisât en profondeur. Comment y réussirait-elle, avec ses ressources intérieures inentamées, et ses mille ans d’autocratie ? À supposer qu’elle y arrivât par un bond, elle se disloquerait sur-le-champ. Plus d’une nation, pour se conserver et pour s’épanouir, a besoin d’une certaine dose de terreur.
Les avantages d’un état d’éternelle virtualité me paraissent si considérables, que, lorsque je me mets à les dénombrer, je n’en reviens pas que le passage à l’être ait pu s’opérer jamais.