Si ce n’avait été qu’une histoire de cul, croyez bien que je n’aurais pas épousé ma chaise.
Éric Chevillard, « dimanche 1er octobre 2023 », L’autofictif. 🔗
J’ai enfilé de robustes chaussures de marche, empoigné un alpenstock, et je me suis laissé choir sur mon canapé, idéalement équipé pour jouir au maximum de la voluptueuse inactivité de mes quatre membres.
Éric Chevillard, « jeudi 12 septembre 2024 », L’autofictif. 🔗
Je déclare officiellement ouvert ce nouvel espace de vie voué à l’harmonie, à l’épanouissement de l’être dans toutes ses activités et relations, à l’amour, à la douceur, aux échanges fructueux et apaisés avec toutes les créatures, à la volupté, à la musique, aux livres qui réjouissent l’intelligence… Ayant dit, je coupai le cordon ombilical de ma fille.
Éric Chevillard, « mardi 1er avril 2025 », L’autofictif. 🔗
Deux cerfs affrontés, leurs bois inextricablement imbriqués, secouent l’échine et tournent sur place sans parvenir à se dégager tandis qu’une espèce de daim dans le public susurre à l’oreille d’une biche des choses osées qui la font rire.
Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 49.
Comme si le précieux secret enfoui dans l’obscur pouvait être autre chose qu’une lampe éteinte.
Éric Chevillard, « mardi 28 mars 2023 », L’autofictif. 🔗
On croit que la belle page de l’écrivain est le reflet d’une riche existence, alors qu’elle est cette existence accomplie.
Éric Chevillard, « mardi 4 février 2014 », L’autofictif. 🔗
Nous voulons croire que leur miroir est recouvert d’un crêpe noir. Dans de profonds et lugubres monastères, ils expient leur vilenie : la matinée vouée aux tourments de la culpabilité, l’après-midi aux supplices de la repentance et la nuit à la hantise, à la fièvre, aux sanglots, aux cauchemars, aux punaises. Le froid féroce les enrhume. Ils cousent avec un fil de morve des pelures de pommes de terre pour se faire un vêtement. Leur vin est fade et leur eau ne l’est pas. Toutes les nourritures solides tournent en pourriture dans leur bouche.
Il y aurait une justice !
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 33.
Petit exercice de sociabilisation. Aborder des inconnus dans la rue par ces mots – Allez, on fait connaissance ?
Éric Chevillard, « jeudi 26 septembre 2013 », L’autofictif. 🔗
Moi, j’ai eu des filles ; j’ai fait des filles. Moi qui ne connais pas la musique ; moi qui dessine si mal ; moi qui suis incapable de fixer des étagères. J’ai fait des filles, avec des cheveux fins et des pieds menus, avec deux yeux chacune et des épaules rondes. Je n’en reviens toujours pas.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 104.
Qu’on ne se méprenne pas ; je ne suis pas en train de me vanter d’avoir engendré des libellules ou des fleurettes. Ou des fées. […] Non, bel et bien des filles, au nombre de deux, deux filles de plus sur cette terre, deux filles encore, deux filles terribles, mais cette fois je suis dans leur camp.
Cette fois, ce ne sont pas des filles là-bas, ce ne sont pas des filles là-haut, ce ne sont pas des filles au loin. Agathe a pris ma main droite ; Suzie a pris ma main gauche ; elles marchent avec moi. J’avance désormais entre deux filles, prenez garde ! Le garçonnet dans mes bottes triomphe. Deux filles à ses côtés ! Ce n’est plus la force adverse à combattre, à séduire, de toute façon à circonvenir. C’est une tendresse mienne ; ce sont des sourires qui prolongent le mien. Cette beauté ne m’est pas jetée à la figure comme une pierre.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 103.
Et voilà l’horreur de notre condition : la moitié de l’humanité restera à jamais ignorante de l’état de fillette (c’est tourner le dos au paysage, c’est mâcher les feuilles de l’ananas, c’est ouvrir ses sens sous la terre), et l’autre moitié ne sait s’y accrocher durablement, s’y établir. Aussi bien et en tout état de cause, n’avons-nous rien de mieux à faire de notre vie que concevoir et enfanter des fillettes ; à défaut de pouvoir en être, pour les uns, le rester pour les autres, il n’y a d’autre justification, d’autre mérite, d’autre sens à trouver – tout le reste, misères et balivernes, perte de temps, foutaises.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 107.
Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.
Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗
À le voir, Dino Egger, à simplement le voir, nul n’eût pu deviner ce qu’il tramait avec les fils de nos jours ; on l’eût pris pour un pauvre bougre de rempailleur, un chiffonnier. D’ailleurs, il n’aurait pas refusé votre vieux manteau et le voilà vêtu pour la vie.
Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.
C’est un grand poète qui a su renouveler le genre en inventant, au moment où nul n’y croyait plus, une nouvelle forme d’illisibilité.
Éric Chevillard, « dimanche 23 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗
Le répertoire de répliques et de phrases toutes faites court-circuite notre expérience – la formule l’empêche de se développer selon notre loi propre, elle la confisque, la banalise, fait d’elle une généralité : par sa faute, nous ne vivons jamais rien d’inédit (et c’est pourquoi il faut écrire).
Éric Chevillard, « mercredi 16 mai 2018 », L’autofictif. 🔗